Comité rédactionnel

21/04/2023

L’Autisme : une identité, un état, une zone ou une étape ?

Autisme, le mot a fait tache d’huile depuis le temps lointain de mes études. Bien sûr toute la nosographie psychiatrique s’est transformée depuis le premier DSM en passant par le DSM 4 en 1994 jusqu’au DSM 5 en 2013.

Mais avec cette dernière version est apparue la notion de spectre, et à travers lui l’autisme s’est propagé de manière lente et continue, s’est répandu de proche en proche, touchant ou recouvrant pour finir de nombreuses catégories diagnostiques au point que l’on puisse finalement penser l’existence d’« une zone de potentialité autistique propre à tout être vivant… » comme l’a déjà formulé Bernard Golse.

L’Autisme : une identité, un état, une zone ou une étape ?

Adaptation : le mot-clé

Je ne vais pas revenir sur l’historique des classifications en psychiatrie, même si j’ai écouté un podcast[1] très intéressant sur l’avènement du concept de « santé mentale » à la fin du 19e siècle : Claude-Olivier Doron, maître de conférence en histoire et philosophie des sciences, explique que la santé mentale implique la capacité de s’adapter à des milieux différents, comme le monde du travail, l’école et le monde social.

La modernité nécessite que l’individu soit plastique, qu’il puisse s’ajuster à des changements incessants, qu’il développe « l’aptitude à nouer des relations harmonieuses avec autrui » : par conséquent celui qui ne peut s’adapter est en « mauvaise santé mentale ».

Ce que je vais reprendre de ce podcast est la notion d’adaptation, car elle occupe une place très importante dans les recherches en psychiatrie et qu’elle résonne particulièrement fort dans le champ de l’évaluation de l’autisme.

Je ne reviendrai pas non plus sur les hypothèses étiologiques concernant l’autisme, le sujet est trop vaste et sensible. L’adaptation est donc mon fil rouge, quitte à ce que mon petit ouvrage de couture élaboratrice soit dépourvu d’harmonie !

Intérêt et limite du gold standard pour le diagnostic des TSA

Récemment, j’ai eu l’occasion de bénéficier d’une formation à l’ADOS-2 (échelle d’observation pour le diagnostic de l’autisme). En passant, je précise que cette formation est vivement conseillée par l’ARS, car elle entre dans le cadre des recommandations de bonnes pratiques professionnelles pour les institutions de soins.

Comme le décrit le manuel[2] : l’ADOS-2 « est une technique semi-structurée et standardisée pour l’évaluation de la communication, de l’interaction sociale et du jeu ou de l’utilisation imaginative d’un matériel pour des personnes ayant été adressées en consultation pour un diagnostic d’autisme ou d’autres troubles du spectre autistique (…).

L’ADOS-2 est constituée d’un ensemble d’activités standardisées qui permet à l’examinateur d’observer les comportements importants pour le diagnostic des TSA, à différents niveaux de développement et à différents âges chronologiques. L’ADOS-2 intègre des situations sociales planifiées qui constituent des incitations (…) à partir desquelles un comportement d’un type particulier devrait apparaître.

Les activités et le matériel structurés apportent un contexte standardisé dans lequel les interactions sociales, la communication et les autres comportements appartenant aux TSA sont observés ».

A ce stade de la présentation de l’outil, et même si je force le trait, vient déjà l’idée que l’on pourrait bien trouver ce que l’on cherche puisque la situation d’observation est fabriquée afin de mettre en lumière (exacerber ?) les comportements préalablement identifiés comme spécifiques des patients qui présentent des TSA.

La classification de l’ADOS-2 est constituée de trois catégories diagnostiques : Autisme (score supérieur à 9°), spectre autistique (score entre 7 et 8), hors du spectre (au-dessous de 6).

Pour s’entraîner à la cotation, le formateur nous propose plusieurs vidéos de passation dont celle d’une petite fille agitée avec peu de langage, d’un jeune adolescent dans un genre « intello-geek » et d’un adulte qui répond avec une application obsessionnelle à toutes les questions de l’échelle.

Ces trois personnes d’âge, de sexe et de milieu différents sont évaluées à des étapes bien distinctes de leur existence. En regardant les vidéos des passations, nous cherchons à deviner la distance qui les sépare ou les rapproche du champ de l’autisme. Un pied dedans, un pied dehors ? Mais le spectre autistique, où est-il ?

Dans le sujet, dans l’environnement, dans la relation ? S’il est dedans, est-ce une étape du développement qui peut s’estomper ou bien un élément inamovible de la construction identitaire ? Reste-t-il en sommeil ou bien est-il en activité constante ?

Lorsque nous passons à la cotation, chacun y va de sa subjectivité et de son contre-transfert, il y a donc ceux qui cotent en cherchant à garder une légèreté bienveillante et ceux qui cotent en valorisant la rigueur d’une certaine sévérité.

Et pourtant, quelles que soient les nuances, les variations empathiques de chacun, nos cotations aboutissent à la même conclusion pour les trois sujets : « ils cotent ! », c’est-à-dire qu’ils se trouvent tous, à leur manière, avec leur style propre, dans le spectre autistique…

Pendant ces trois jours de formation au diagnostic d’autisme, le formateur insiste à plusieurs reprises sur le « bavardage social » et la capacité du sujet à relancer le dialogue avec l’examinateur, deux témoins de l’aptitude de l’individu à nouer des relations harmonieuses avec autrui.

La place centrale ainsi donnée aux interactions m’a fait penser aux travaux de Sameroff et Emde sur les troubles des relations précoces[3].

Ces deux auteurs, professeurs de psychiatrie aux Etats-Unis, estiment opérer une révolution dans l’étude de la psychopathologie en passant d’une « théorie du Moi » à une « théorie du Nous » et en donnant une place fondamentale aux capacités d’adaptation dans le développement de l’individu.

Le tournant de l’approche développementale en psychiatrie

Leur hypothèse de départ est la suivante : « Peut-être que la pathologie ne se situe pas au niveau du bébé ; pour des raisons développementales, il se peut que le désordre réside uniquement dans la relation parent-enfant ».

Pour ces auteurs, les relations sociales « ont des fonctions normatives ». « Tout au long de notre vie, notre adaptation dépend de nos relations sociales ». Pour un de leur collègue-chercheur, Louis Sander : « Chaque système enfant-partenaire construit sa propre configuration unique de principes régulateurs qui régissent l’accès du bébé à la conscience de ses propres états, de son expérience interne et les initiatives qui organisent son auto-régulation.

Ces configurations forment ensuite un répertoire des coordinations ou des stratégies d’adaptation qui vont persister ».

Quant à Stern, il écarte les théoriques psychanalytiques et la place qu’elles donnent à l’activité fantasmatique pour souligner l’importance des relations dans la réalité.

Dans les théories psychanalytiques, la nature des relations objectales résulte pour une grande part de l’ontogenèse de la vie fantasmatique, sans données significatives rattachées au comportement réel de la mère.

Les patterns de relations subjectifs se situent donc dans l’individu. Stern adopte « la position opposée, c’est-à-dire que la nature des relations objectales ou des patterns de relations résulte essentiellement de l’histoire des interactions réelles avec la mère ».

Il ajoute un peu plus loin : « Selon cette position, les patterns de relations sont dès le départ situés hors d’un individu et ne se constituent que pendant l’interaction entre deux ou plusieurs individus ».

La proposition de Stern est intéressante, même si je trouve qu’il est dommage d’expulser la dimension fantasmatique et les représentations psychiques des relations qui jouent un rôle dans la construction de chacun.

Ces auteurs développent donc l’idée que les interactions réelles entre un bébé et son environnement sont en grande partie responsables de son développement harmonieux ou perturbé quelle que soit la nature des perturbations.

Seules les interactions positives permettent la construction de patterns individuels qui favorisent les comportements adaptatifs tout au long de la vie.

Ainsi les capacités d’adaptation sont révélatrices du fonctionnement équilibré et harmonieux d’un individu et la meilleure façon de les évaluer est d’observer les interactions réelles.

C’est de fait sur ce principe que s’appuient de nombreuses échelles d’évaluation depuis ce passage des théories qui cherchent à décrire la construction du Moi à celles qui désormais s’intéressent davantage à la construction du Nous.

Mais le problème que génère l’analyse de comportements directement observables, c’est qu’elle laisse de côté le versant psychique de chacun et la dimension singulière de la rencontre.

L’individu qui ne s’engage pas aisément dans le « bavardage social », c’est-à-dire dans une conversation fluide construite sur le discours du partenaire (ou de l’examinateur dans le cadre de l’évaluation), peut être angoissé, déprimé, gêné, préoccupé, contrarié, inhibé ou même simplement respectueux de la dissymétrie propre aux interactions patient/examinateur.

Si les problèmes d’adaptation et l’altération des relations sociales sont un des marqueurs essentiels de la psychopathologie en général et de l’autisme en particulier, si la capacité à produire un « bavardage social » est un des critères à repérer lorsque l’on cherche à évaluer les comportements autistiques, alors, oui, il y a des chances que l’on trouve une dose d’autisme, indépendamment de toute inscription neurologique, à l’intérieur de chacun d’entre nous.

 

[1] https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/comment-ca-va-la-sante-mentale-9056424

[2] ADOS-2 version française, Manuel, Hogrefe France, 2015

[3] Sameroff, Emde, Les troubles des relations précoces, PUF, 1993

 

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Anne Brisson Psychologue clinicienne Psychanalyste En libéral et en institution