Comité rédactionnel

15/12/2025

Noël, No kids

No kids : l’expression désigne aujourd’hui des espaces ou évènements dans lesquels les enfants ne sont pas les bienvenu.e.s, enfin sont même complètement interdits. Depuis longtemps existaient les lieux de vacances « adults only », que je situais, grâce au film « Les bronzés » (veuillez m’excusez de ne pas avoir davantage étudié le sujet) entre l’ancêtre du site de rencontres et le club échangiste. Il y a aussi depuis longtemps les films interdits aux moins de 18 ans, mais cette interdiction vise à protéger les enfants d’images violentes. Or ici, les espaces ou les évènements « no kids » visent plutôt à protéger les adultes des bruits et des mouvements que pourraient faire les enfants.

Noël, No kids

Certains restaurants, hôtels, lieux de vacances sont « no kids » (soit interdits aux enfants).

La SNCF a trouvé une alternative, (les enfants paient à partir de 4 ans, on ne peut pas se priver de ces clients tout de même !) ce sont les « wagons family ».

Si par malheur vous avez des enfants et que vous n’avez pas obtenu une place dans cet espace « pour les familles » vous prenez le risque de regards jugeant et de remarques désobligeantes sur votre incapacité à faire en sorte que vos enfants n’ouvrent pas la bouche et ne bougent pas pendant tout le trajet (attention ces remarques sont exclusivement réservées aux femmes).

L’amour se raconte en musique[2]

Mais en ce mois de décembre, de fête familiale, c’est à un autre rite de famille, auquel je souhaite m’intéresser :  le mariage.

Car, même s’il est difficile de chiffrer statistiquement le phénomène, les mariages « No kids » font désormais leur apparition. Il est vrai que depuis quelque temps, j’entendais parler dans mon entourage de parents qui avaient été invités à des mariages sans leurs enfants.

L’objectif étant de pouvoir faire la fête, danser et boire sans contraintes. Mais ces parents évoquaient surtout la complexité supplémentaire, de devoir emmener leurs enfants chez les grands-parents, prendre le train, et se faire engueuler par les autres passagers en prime, ou encore de devoir trouver un.e baby-sitter pour tout un WE et surtout des sous pour le ou la payer.

En échangeant avec ma collègue, celle-ci, analysant la situation, remarqua très justement :
« C’est dommage, les enfants au mariage, ça fait de belles photos ! ». En parlant de photos, ma grand-mère a soigneusement consigné les photos de mariage, depuis celui de ses parents à celui de ses arrière-petits-enfants.

Alors les tenues ont changé, les visages sérieux ou souriant également, mais il y a toujours, assis devant : des enfants. En sociologie, on s’interroge toujours sur les permanences et les changements. On relativise parfois certains phénomènes en se disant non, ce phénomène n’est pas nouveau, il est simplement plus visible ou plus normalisé ou on lui donne un autre nom.

En l’occurrence, en feuilletant ces photos, je me demande si le mouvement No Kids notamment lors des mariages, a eu un précédent.

Quand j’étais petit garçon…

Et puis, il se trouve que récemment, nous avons été invités au mariage de mon cousin, où les enfants étaient les bienvenu.e.s, (la mariée est enseignante à l’école élémentaire, elle aurait pourtant eu de bonnes raisons d’interdire les enfants à son mariage).

Et là, en regardant mon fils de 6 ans retirer son pull et son blouson pour montrer sa belle chemise à toute la famille réunie avant même de sortir de la voiture (alors que la température frôlait les 3 degrés)… J’ai décidé de me mettre à sa hauteur, pour comprendre aussi de quoi les enfants sont privés.

Il a assisté à la première messe de sa vie, et a pris très très au sérieux son rôle dans le cortège composé d’une petite dizaine d’enfants précédant la mariée lors de son entrée à l’église.

Ensuite, il a joué à cache-cache avec la dizaine d’autres enfants présents. Il y avait des enfants qu’il ne connaissait pas, et des cousins qu’il voit plus ou moins souvent.

Nous ne faisons pas partie de ces familles qui ont la chance d’avoir une grande maison de famille qui permet à tous ses membres de se réunir régulièrement durant l’été. Les mariages, (et les enterrements) sont donc les seuls évènements qui nous permettent de nous revoir toutes et tous.

Ensuite, mon fils a pu assister avec beaucoup d’intérêt et de concentration aux différents rites qui composent un mariage : le bouquet de la mariée, les questions-réponses sur les mariés, le diaporama, toujours très émouvant, où il a pu se rendre compte du cycle de la vie : mon cousin et sa femme bébés, jusqu’à aujourd’hui, son arrière-grand-mère qui n’a pas toujours eu 100 ans, et les membres de la famille qu’il n’a pas connus mais dont nous parlons souvent.

Au moment des discours des témoins, il a pu réaliser la force de l’amitié qui liait mes cousins à leurs amis d’école. « Ils se connaissent depuis l’école, depuis la maternelle ? m’a-t-il demandé ? »

Enfin, et ce n’est pas un détail, il a dansé, dansé avec les cousins, les oncles, les tantes, les grands-parents…

Au retour à la maison, mon fils avait précieusement conservé le menu, la petite pochette de dragées, des photos prises avec le photomaton avec la mariée, le papier avec son prénom… comme un trésor, souvenir de cet évènement marquant pour lui,

J’irai au bout de mes rêves

Mais revenons sur la piste de danse. En écoutant la playlist reprise en chœur par tous les invités, je me suis dit que mon cousin, sa femme, et tous les moins de 25 ans avaient dû participer à de nombreux mariages With kids pendant toute leur enfance pour chanter : « Sous les sunlights des tropiques », Claude François, Michel Sardou et Jean-Jacques Goldman et bien sûr danser bras dessus bras dessous sur le Lac du Connemara.

Je me suis dit aussi que peut-être, si nous continuions à être invités, mon fils et nous, à des mariages, lorsque je serais vieille, je pourrai chanter « Jusqu’au bout de mes rêves », au mariage de mon fils. Enfin, si d’ici là, les vieux ne sont pas exclus de ce rite familial.

Cette année-là

En discutant avec ma collègue, nous nous sommes aussi remémorées notre expérience en tant qu’enfants. Les souvenirs finalement assez marquants de ces temps extraordinaires où nous étions bien habillés avec des vêtements souvent achetés pour l’occasion. Ces temps où nous étions couchés tard, où nous avions vu les adultes, souvent préoccupés au quotidien, s’amuser, danser… Ce sentiment de faire partie d’un groupe, d’une communauté, où chacun à sa place.

Plus fondamentalement, exclure les enfants d’un certain nombre de rites familiaux interroge très grandement sur la possibilité d’être inclus dans une famille au sens large et peut-être même aussi sur la possibilité que la famille puisse être soutenante pour les parents, voire puisse être relais, soutien, une aide pour les enfants et plus tard pour les plus âgés.

Le sirop de la rue

Mais le mouvement No kids n’est-il pas à appréhender dans la continuité de la disparition des enfants de l’espace public par exemple ? Il n’est pas rare de voir écrit dans les halls ou les cours d’immeuble : « Interdit de jouer », alors que la rue et l’espace public sont devenus un espace dangereux du point de vue des parents préoccupés par les accidents de la route et les différents faits divers relayés par les médias.

Le sociologue Clément Rivière [3] note que les enfants passent moins de temps sans adultes dans les espaces publics : « Leur rayon de mobilité diminue et l’âge auquel ils réalisent les premiers trajets en autonomie est retardé »[4]. Si l’on ne croise plus d’enfants dans l’espace public, au restaurant, en vacances ou dans des mariages, on peut finalement ne plus en croiser du tout.

N’y aurait-il pas aussi un lien à faire entre ces séparations par tranche d’âge et les difficultés que l’on rencontre avec des enfants dont on est surpris par les mouvements, la joie de vivre, la spontanéité et le besoin de bouger ?

Petit papa Noël…

Enfin, si l’on y réfléchit, le mouvement No kids n’est rien de plus qu’une forme de discrimination au regard de l’âge d’une population, et les espaces « no kids » une forme de ségrégation générationnelle. Attention, aux effets de l’expérience de cette génération, élevée dans un contexte où la ségrégation générationnelle est tout à fait normalisée. Vous voyez où je veux en venir ? Je crains bien que l’on soit, nous, futurs vieux, exclus des mariages de nos petits-enfants… Mais comme c’est la newsletter de Noël, j’ai eu la consigne de ne pas faire trop théorique… et déprimant.

Alors revenons à Noël justement, qui est, comme le mariage « le rite familial » par excellence. A quoi ressemblerait un Noël No Kids ? Ce serait un Noël sans Père Noël et sans émerveillement, puisque celui-là n’existe que dans les yeux des enfants.

 

[1] A ne pas confondre avec « childfree » : qui désigne les personnes et les couples qui décident de ne pas avoir d’enfants. Ici nous nous intéressons aux espaces et évènements collectifs dans lesquels les enfants sont interdits.

[2] Cette newsletter ayant vocation a être ludique, vous pouvez tenter de reconnaitre les chansons de la playlist de mariage.

[3] Rivière C. 2021. Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan. Presses universitaires de Lyon. 164 pages.

[4] Clément Rivière est interviewé dans l’épisode 5 du Podcast de Lolita Rivé soutenu par le défenseur des droits « Qui c’est qui commande ? » intitulé Va jouer dehors [PODCAST] « Qui c’est qui commande ? » | Défenseur des Droits

Aude Kerivel Docteur en sociologie Directrice du LEPPI Chercheur associé au CEREV, université de Caen