Système qualité

27/11/2025

L’intuition dans le soin

Qu’est-ce que c’est dur d’être professionnel d’établissement de soin en France à l’aube de 2026… Qu’est-ce que c’est dur de nager à contre-courant pour préserver cette humanité. Cette humanité-là, essence même de l’identité d’un soignant. Cette humanité qu’on tente de préserver quand tout semble être fait pour qu’elle s’épuise…

 

L’intuition dans le soin

Réflexion déstructurée de votre collègue qualiticienne

Alors, l’intuition ?

Ce mot, ce thème, m’a tout de suite ramenée à la question qui a rythmé toute mon année 2025. Oui, immédiatement j’ai pensé à la tension qui prend de plus en plus de place dans nos établissements… Une tension bien palpable : entre l’intuition, ce mouvement intérieur qui guide le soin depuis toujours, et l’exigence de tout tracer, tout prouver, tout objectiver. Une tension entre le subjectif et l’objectivation.

Pourtant, l’objectivation, la rationalité, la mesure ne sont étrangers au soin : Ils font partie du diagnostic. Objectiver, c’est rattacher une hypothèse à une théorie, une observation à une science. C’est mettre du cadre autour d’une perception pour mieux la comprendre. C’est définir… Ainsi, objectiver est simplement la suite logique d’induire. C’est la mise en forme, la mise en mots de l’intuition.

Tout d’abord repartons aux sources.

Intuition vient du latin intuitio, « regard attentif »,
« contemplation ». Un mot issu du verbe intueri : in, « au-dedans » et tueri, « regarder »,
« veiller ». Intuition, c’est donc l’art de regarder au-dedans. Percevoir avant même de nommer. C’est le premier élan du sens.

Le mot « soin », lui, vient de l’ancien français seign, soign, héritier du latin populaire sunnia, qui renvoie à l’attention, la sollicitude, la préoccupation envers l’autre. Le soin, sur le plan étymologique, n’est donc pas un acte technique : c’est un acte de vigilance sensible, une manière d’être responsable de l’autre.

Enfin, le mot « temps », vient de tempus, qui signifie le moment, l’occasion, la mesure, mais aussi le rythme juste. Le temps, ce n’est pas seulement la durée : c’est le battement adéquat où quelque chose peut être perçu, compris, accueilli. Ainsi, le mots soin ne peut se comprendre véritablement sans l’intuition et le Temps.

L’intuition dans l’espace soin est-elle en danger ?

Il semblerait que l’espace-temps disponible pour penser, observer, diagnostiquer, s’ajuster, se réduise. Il semble être grignoté d’année en année par le poids du chiffre, l’obsession de la forme, l’obsession de montrer, de prouver, de se défendre, de se… vendre peut-être ? Alors, les actes rythment les plannings. Les exigences d’efficience encadrent chaque minute. Et la formalisation de preuve s’exige.

Et me voilà, moi, Francesca, au milieu de tout cela. Pas soignante, mais à vos côtés. À essayer de comprendre, de traduire, d’accompagner. À tenir avec intuition (j’essaye…), cette place où l’on vous demande parfois de formaliser ce qui ne se laisse pas toujours formaliser. À servir les exigences sans trahir ce qui fait votre cœur de métier. Et, parfois, à chercher comment illustrer toutes ces valeurs qui vous font et qui constituent la vraie qualité. Celle qui compte réellement.

Nous l’avons observé avec les évaluations du médico-social, où la méthodologie du référentiel qualité, la structuration, prennent une place déterminante dans la note finale des évaluations, alors même qu’elles ne reflètent qu’une partie du soin. Une place déterminante, que la bientraitance, l’éthique, l’écoute, et le respect du rythme et du ressenti de la personne devraient pourtant naturellement occuper.

Comment est-on arrivé à un modèle où la forme, la preuve, la traçabilité pèsent davantage que ce qui fait la dignité même de la relation de soin ? Comment peut-on accepter que les critères qui évaluent l’humanité, la présence, un sourire, un réconfort, la sécurité psychique, la douceur, pèsent moins lourd que ceux qui évaluent la documentation et les processus ?

Alors oui, tout cela me questionne. Oui je suis en conflit.

  • Non, je ne remets pas en cause l’importance de la méthode, elle structure, elle guide, elle protège, elle garantit. Et je ne pense pas qu’il soit possible de gouverner le soin sur le territoire français par le bon sens de chaque organisation de soin. Il faut donc des outils, mais lesquels donc ?
  • Car oui, je vois aussi que ce même mouvement, lorsqu’il devient excessif, et inadapté, créé un décalage avec la part de vie nécessaire à la clinique. Une clinique qui demande du temps, du rythme, de la respiration, de l’intuition. Une clinique qui ne supporte pas toujours d’être interrompue trop tôt, par des mots qui arrivent parfois avant le temps de l’expérience.

Mais moi je ne crois pas qu’il faille choisir un camp. Je ne crois pas qu’il faille opposer méthode et intuition, qualité et clinique, exigences et humanité. Moi je crois qu’il faut trouver un chemin de rencontre. Trouver ou créer un espace commun où l’un nourrit l’autre. Un espace sain.

Car, pour ma part je pense que le problème de ce système reste l’excès. L’excès dans les économies, l’excès dans la mutualisation, l’excès de la norme. Un excès qui dilue ou efface les singularités, empêche les extravagances. Un excès qui permet de moins en moins de dépasser du carré pour avancer. Un excès qui naît pour protéger mais un excès qui peut finir par étouffer.

Ainsi, ma réflexion de cette année ma menée à conclure que ce système est excessif c’est parce que malgré les efforts, il reste descendant. Il doit lui aussi appliquer une vraie dynamique d’amélioration continue, qui ne craint pas de casser et de reconstruire ce qui a débuté, sous cette forme, il y a près de 25 ans.

Ainsi pourra se construire un espace où la mesure retrouve son sens, sans excès, et au-delà de la forme.

Un espace qui accompagne réellement et soutient les problématiques remontées par le terrain. Un espace où la qualité attendue se trouve dans les valeurs cliniques, ou la mesure soutient le soin, où les moyens laissent suffisamment de place à l’intuition : le super pouvoir de l’être humain.

Votre collègue, Francesca.

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