Comité rédactionnel

22/05/2023

Interview de soignants en psychiatrie

Un article de Charlène Romano, stagiaire au service communication de l’association Cerep-phymentin.
Visite d’un service psychiatrique au centre hospitalier de Melun. Deux interviews de soignants à la clé et une réflexion sur la définition de la santé mentale. Un dossier proposé par Charlène Romano.

Interview de soignants en psychiatrie

Je ne cesse de découvrir le milieu du soin, et plus particulièrement, depuis que j’ai intégré l’équipe du siège de l’association Cerep-Phymentin. Ce monde, empli de richesses, reste encore méconnu des gens qui, à l’instar de moi-même, sont extérieurs à ce milieu.

La psychiatrie semble être un second monde, un univers interne au nôtre. Il est probablement plus imaginatif, créatif et humain. Ce 12 mai 2023 représentait la journée internationale des infirmières et infirmiers. Je décide de partir à la rencontre d’une équipe d’aides-soignants à l’hôpital psychiatrique de Melun (Seine-et-Marne) – des professionnels impliqués et passionnés dans leurs missions. Je voudrais recueillir les témoignages de ceux accompagnant des êtres pourvus d’un « grain de folie ».

  • Interview de Damien Labaume

Je suis un vieux soignant de la psychiatrie, j’ai commencé à travailler dans les MAS (maisons d’accueil spécialisées) puis j’ai travaillé durant dix ans au centre psychiatrique de Melun. Depuis trois ans, je travaille en EHPAD.

Quelles sont vos missions dans le service ? 

Nos principales missions sont majoritairement de l’observation. L’observation soignant dans un premier temps, puis de l’observation médicale du fait de leurs traitements. Nous sommes le premier maillon de la chaîne. Nous sommes ceux qui peuvent dire, au médecin, si le traitement est adapté ou non. Selon l’amélioration ou une recrudescence des hallucinations. Le médecin n’est pas là quotidiennement avec le patient. Donc, nous sommes face au patient qu’il soit en pleine crise, qu’il soit dans la découverte de sa maladie, ou un vieux patient chronique ou stabilisé. On vit leur quotidien avec eux. On est formaté à diriger l’individu vers le médecin, mais, parfois, on peut endosser le rôle pour informer sur le traitement. Pour les familles et le patient.

Vous avez évoqué le fait de découvrir sa maladie. Vous êtes souvent amené à accompagner le patient dans le cheminement de la découverte et de l’acceptation de cette maladie ? 

C’est notre quotidien. La psychiatrie est un panel si large. Certains patients sont là pour une mésaventure occasionnelle. D’autres, plus particulièrement avec la jeune génération, on travaille avec des patients qui ont consommé trop de toxiques ou qui ont des troubles identitaires.

C’est donc un travail d’acceptation de soi ? 

Oui, prenons le cas d’une personne souffrant d’anorexie ou de boulimie, on fait un travail sur le schéma corporel de la personne. Comment il se visualise. On supprime les miroirs, les téléphones et les réseaux sociaux, la famille aussi. On travaille entre la personne et les soignants. On ajoute plein d’éléments par la suite.

Donc le schéma pour arriver à une acceptation de soi et de son apparence passe par la suppression de tous les éléments reflétant notre moi ? 

Si tu ne supprimes pas la balance et le miroir, pour les boulimiques et les anorexiques, ils gardent les éléments déclencheurs de leurs troubles alimentaires. En laissant ce miroir, ils auront toujours ce regard critique et cette pensée « je suis trop gros ». En l’enlevant on projette l’image corporelle sur autre chose, sur un dessin ou un modelage. Au début, un anorexique se représente comme une boule d’argile. On travaille sur la maladie, dans la connaissance de la maladie pour eux. En parallèle on parle aussi du traitement, qu’est-ce que le traitement pour eux et ce qu’il arrive s’ils ne le suivent pas. Ce schéma suit toujours le même but : l’acceptation de la maladie. C’est en acceptant sa maladie qu’on accepte le traitement.

L’acceptation de la maladie est-elle aussi difficile pour le patient que pour sa famille ? 

C’est très difficile surtout pour la population « jeune », c’est-à-dire les 20-25 ans. Vous avez moins de 25 ans ? Pour les familles, vous êtes encore des bébés qui s’insèrent seulement dans ce monde. Ce qui est difficile dans la maladie mentale, c’est que c’est une maladie chronique. Ce n’est pas une maladie virale ou bénigne qui se soigne durant un temps donné. C’est quelque chose à vie. L’acceptation de la famille diffère entre le diagnostic d’un diabète, par exemple, que d’une schizophrénie.

Vous pensez que c’est dû à l’image de la maladie qu’on se construit en elle-même ? 

Par rapport à l’image qu’on se fait de la santé mentale aujourd’hui. Quand on parle de la santé mentale, beaucoup de personnes ont l’image de la santé mentale d’il y a trente ans en arrière. Celle où on enferme les patients dans des chambres matelassées avec les camisoles. Même dans le milieu médical, quand on demande aux étudiants d’USI (Unité de soins intensifs), ce qu’ils pensent de la santé mentale ou de la psychiatrie, ils en ont peur et ils ne veulent pas y aller.

Mais alors, comment définissez-vous la santé mentale ?

Je la définis comme une maladie quelconque, simplement c’est une maladie incurable. Dès l’instauration de la maladie à l’acceptation de celle-ci, c’est tout un cheminement avec les entretiens, les traitements. Parfois on est face à des échecs de nous-mêmes et du patient. Ce qui intéressant dans la santé mentale c’est que notre travail n’est jamais le même. Que ce soit dans l’observation et dans la relation du patient.

Ce qui est intéressant dans la maladie mentale, c’est qu’aujourd’hui nous n’avons pas le recul pour dire pourquoi untel est malade. Quelqu’un qui fume depuis trente ans, on sait pourquoi il a un cancer. Mais lorsqu’un jeune sain a un dérèglement neuronal, et depuis il est schizophrène sans antécédent dans la famille. Parfois, rien ne peut prévoir certains cas, on ne peut pas expliquer le pourquoi du comment.

Mais cela ne conduit pas à une forme de frustration ? 

Je ne sais pas si on peut appeler cela comme une frustration mais comme de l’impuissance. Peu importe où tu travailles dans la santé mentale, on a pour vocation d’aider et de soigner au maximum de nos capacités le patient. Mais quand on est dans l’incapacité, on se sent impuissant. C’est le plus difficile : ne pas réussir à aider la personne ou à comprendre le pourquoi du comment.

Face aux profils variés de vos patients, j’imagine qu’il est important d’avoir une équipe soudée pour recevoir un appui quotidien ?

On essaye. Il fut un temps où on avait une grande alliance thérapeutique, entre le corps soignant et le corps médical. Récemment, il y a de nouvelles lois, comme celle portée sur le droit du patient. Les prises en charge sont différentes avec les jeunes médecins qui sont arrivés. Ce corps soignant reste soudé mais le corps médical s’est détaché.

Pourquoi ce changement, maintenant ?

Depuis le Covid, plein de choses ont changé. Au-delà de la santé mentale, le regard sur la santé a changé. Je suis inquiet pour les professionnels et pour les futurs patients. La prise en charge ne sera pas la même. Il n’y a plus cette même passion qu’on avait. On savait pourquoi on entrait dans ce milieu. Et dix-vingt ans après on était toujours là. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes entrent après leurs études et quittent le secteur deux ou trois ans après. Je pense que pour des raisons de désillusion du métier, ils sont écœurés par la prise en charge du patient. Une prise en charge trop rapide ou mal faite.

Si je peux me permettre, d’un point de vue externe à votre milieu, j’ai l’impression que dans notre société, en général, nous ne prenons plus ou n’avons plus l’opportunité de prendre le temps. Finalement, est-ce qu’on court vers une valorisation de la rapidité tout en espérant une efficacité ? 

Je ne parlerais même pas d’efficacité parce que dans la rapidité des choses on ne peut avoir d’efficacité. On le voit dès l’instauration des dernières lois. La loi sur le droit du patient a pris une telle ampleur que tout lui est dû. Certes avant il n’en avait pas assez, mais maintenant on ne peut plus dire grand chose et ce sont les soignants qui sont persécutés. Dans le milieu de la santé, maintenant, on ne parle plus de patients mais de numéros. Dans le sens où, la prise en charge est plus dans la rapidité.

Plus vite tu sortiras, moins ça nous coûtera cher. Avant, dans le milieu de la santé, on nous donnait les moyens en termes d’humains et de matériels pour les prises en charge. Aujourd’hui beaucoup de soignants partent parce qu’on nous demande de faire tout autant qu’il y a quelques années, mais avec moins de matériels et moins d’humains. On avait un soignant pour cinq/six patients, maintenant nous avons un soignant pour douze patients.

Diriez-vous qu’il s’agit d’un manque de financement ou un manque d’organisation ? 

Le milieu de la santé ne met pas les moyens, nous ne savons pas s’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas.

Pensez-vous que le pôle de la psychiatrie est délaissé par l’État et la société en général ? 

Il y a deux pôles délaissés, celui de la santé mentale et celui des personnes âgées. Il faut savoir qu’avant, l’hôpital de Melun était organisé différemment. Il y avait l’hôpital de Melun avec ses structures médicales et 500 mètres plus loin, il y avait le pôle de la psychiatrie. Nous étions totalement isolés de l’hôpital central. Et regarde aujourd’hui, la santé mentale est au sous-sol par rapport à l’hôpital.

Pourquoi ? 

Parce qu’on cache un peu les patients de la santé mentale par rapport au regard du public, les familles, qui vient voir les patients en hôpital général.

La santé mentale et les personnes âgées sont en partie délaissées. Est-ce que la société met en marge les personnes où le cas semble irrémédiable et donc « sans espoir » ? 

On peut le voir comme ça. Une personne âgée qui arrive aux urgences restera trois heures sur un brancard et d’autres personnes seront hospitalisées avant. Parce qu’elle n’est pas une priorité.

Avez-vous déjà été contrainte de refuser une personne ? Pour quelles raisons (places disponibles ou prise en charge non assurée) ? 

Bien sûr. On a ce problème en France, on n’a pas assez de structures dans la globalité de la santé mentale. On n’a pas assez de structures pour la psychiatrie, pour les MAS (maison d’accueil spécialisée). Un exemple récurrent par manque de places : on va autoriser la sortie d’un patient quasi stabilisé pour accueillir un patient agité.

En soi l’action est bonne, on doit prendre en charge un patient en souffrance. Mais le risque,  c’est que la personne stabilisée soit on fait un bon choix et il continue à prendre son traitement à l’extérieur même si c’était juste. Ou soit, on s’est trompé et la personne n’a pas pris son traitement. Elle revient à notre bloc, délirant, et tout le travail effectué avec est une perte de temps.

Gaëlle a évoqué le nombre important de mineurs venant dans votre hôpital, or, rappelons-le, c’est un service pour les personnes majeures. 

Il n’y a pas de structures pour mineurs ici. Au niveau de la loi, on est dans l’interdiction d’accueil des mineurs avec des majeurs. Quand on les accueille, on doit les placer dans des chambres sécurisées, nous en avons que deux à l’ICND. On a des mineurs mais ce n’est pas un lieu adapté pour eux. Nous avons déjà une charge de travail qui est d’autant plus doublée dans la vigilance parce que le mineur ne peut rester seul.

C’est une organisation nouvelle. Avez-vous été formé pour ce type de situations ? 

Non, on est formé dans la psychiatrie en soi et on est formé sur le terrain. Ce qui est le plus dur pour nous, c’est que ce n’est pas adapté pour eux et pour le bien-être de la personne. On les prive de liberté par obligation pour les protéger. Un mineur est comme toi et moi, il a besoin de parler, de bouger. On lui consacre le temps qu’on peut mais on ne peut pas lui consacrer tout notre temps. Pour le protéger des autres, il se retrouve dans une chambre enfermée. Tu le prives de ses libertés. Entre mineurs, ils peuvent se placer librement toute la journée et non une partie.

Selon vous, le milieu de la psychiatrie doit-il se renouveler ? A savoir, être reconnu par la société pour obtenir une plus grande reconnaissance et une image plus fidèle de la réalité. 

Bien évidemment elle doit évoluer, comme tout. Tout évolue dans le temps. La psychiatrie, comme n’importe quelle maladie, évolue. Avant on traitait la maladie mentale différemment qu’on la traite maintenant. Avant, on la traitait avec des contentions physiques. Ensuite, on a évolué vers les contentions physiques et psychiques, avec les traitements. Maintenant, on est majoritairement sur de la contention psychique. Donc elle évolue et c’est nécessaire parce qu’ aujourd’hui, nos arrivants sont de plus en plus jeunes.

Le regard de la société doit évoluer mais il faut aussi que la société donne les moyens dans la prise en charge, avec des structures par exemple.

L’association Cerep-Phymentin a pour projet d’éditer un magazine faisant place à la folie. Un terme devenu tabou dans le milieu de la santé mentale, hors il a été introduit par le père de la psychiatrie, Freud. Ce recul est problématique car il a laissé place à une vision négative du sens de « folie ». Nous travaillons sur notre grain de folie que nous avons tous d’une certaine façon. Qu’en pensez-vous ? 

En soi on a tous une part de folie en nous, maintenant, la différence entre les névroses ordinaires et les psychotiques, c’est que nous avons su stabiliser notre folie par nos traits de caractère. Eux, malheureusement, ils n’ont pas réussi. La folie les a emportés.

La maladie mentale, soit tu aimes soit tu n’aimes pas. Si tu aimes la maladie mentale tu vas y mettre du tien, tu t’intéresses à ce que tu fais, tu t’informes, tu étudies le domaine. Humainement et mentalement, tu grandis par les témoignages et les expériences de vie de chacun.

Êtes-vous détaché de vos patients ? 

Il le faut. Nous avons déjà reçu des détenus et, humainement, tu n’as pas envie de les soigner. Mais il faut faire son travail.

Pourquoi cette peur de la psychiatrie ? 

Avec tous nos moyens, nous pouvons encore être dans l’inconnu. L’inconnu de la maladie et des explications comportementales.

 

  • Interview des infirmières Prescilla Mavinga et Emmeline Royal

Combien de temps travaillez-vous par semaine ? 

  • Emmeline : Les heures varient selon les semaines. Mais on est sur un contrat de 35 heures par semaine.

Effectuez-vous des heures supplémentaires ? Comment est le rythme ? 

  • Prescillia : Oui mais, là encore ça varie, les heures supplémentaires nous sont proposées sur le site en ligne de l’hôpital, et c’est à nous de choisir si on souhaite en faire ou non.

Combien de personnes travaillent dans l’équipe et quelles sont les fonctions de chacun et chacune ? Combien de patients accueillez-vous ?

  • Prescillia : Aujourd’hui nous sommes six, quatre infirmiers et deux aides-soignants. L’équipe complète compte sept à huit professionnels. On est parfois en sous-effectif. Nous avons la capacité d’accueillir seize patients, aujourd’hui, nous avons 14 patients. Mais on a deux chambres qui ont été détériorées par les patients lors de leur crise. Donc deux chambres sont en restauration.

Dans ce contexte, est-ce que les travaux sont rapidement effectués ? Durant ce temps d’attente, cela impacte-t-il votre travail ?

  • Prescillia : Ça dépend du niveau de dégradation, mais généralement on compte une semaine. C’est un impact sur le pôle de la psychiatrie plus largement, par rapport à la capacité d’accueil.
  • Emmeline : Je dirais que ça impacte aussi notre travail, si certains ont besoin d’une chambre d’isolement, on n’a pas de chambre à leur proposer. Ça nous impacte, dans le sens où on a pas de charge de manœuvre.

Gaëlle m’a indiqué que, parfois, vous deviez nettoyer les toilettes bouchées ou régler des problèmes de fuites. Êtes-vous amenée à accomplir des tâches qui ne font pas partie de votre fiche de poste et pourquoi ?

  • Prescillia : Oui. Parfois, il y a des problèmes techniques où on ne peut pas attendre que le technicien arrive. Si on trouve un chariot de ménage, on fera la tâche nécessaire. Par exemple, on a des patients SDF qui n’ont pas de vêtements, et bien on n’hésite pas à ramener des vêtements de chez nous. Ça fait pas partie de nos tâches mais on s’implique pour eux.
  • Emmeline : Ce ne sont pas des tâches, c’est juste des attentions pour leur bien-être.

Quelles sont, selon vous, les raisons de ce manque matériel ? Un manque budgétaire ou une organisation à repenser ?

  • Emmeline : Les chambres qui sont dégradées c’est plutôt un manque de financement et d’effectifs au niveau des techniciens qui réparent. Ils sont peu pour tout l’hôpital. Et le manque de personnel concerne plusieurs niveaux.

Comment ça ? 

  • Prescillia : Aujourd’hui, deux postes d’aides-soignants sont gelés. Deux collègues partent à la retraite cet été, et pour l’instant on est en pourparler avec la direction pour s’assurer que les postes seront dégelés et occupés à la rentrée.

L’un de vos collègues a évoqué la loi des droits du patient. Avez-vous perçu un changement particulier depuis ?

Les droits du patient font qu’on ne peut pas les fouiller, et la drogue circule. On n’est pas flic pour récupérer tout ça. Donc, dans nos prises en charge on leur donne des traitements sachant qu’en parallèle ils peuvent consommer des stupéfiants. Et quelques semaines après, rebelote, on doit recommencer le travail.

  • Emmeline : Les patients psy sont plus exposés aux drogues, et on en voit de plus en plus.

Pensez-vous que la psychiatrie est un pôle délaissé ? 

  • Emmeline : Oui largement. Quand j’en parle à mes proches, on dirait que c’est un autre monde pour eux. Ils imaginent des gens sous camisoles, alors que c’est pas ça la psychiatrie. Je pense que les personnes avec des troubles psy sont mises en marge de la société alors que certains ne sont pas forcément violents ou dangereux. Toutes ces personnes là sont mises de côté par la société et cela justifie la mise à l’écart de l’hôpital psychiatrique, on est comme le petit pauvre de la médecine.
  • Prescillia : Il faut être dedans pour comprendre ce qu’il se passe. Moi-même, avant de faire mon stage en psychiatrie, j’avais cette représentation qu’on peut voir dans les films ou séries avec des fous qui crient sous camisoles. Cette appréhension du secteur est partagée par nos collègues des autres services hospitaliers, ils ont un regard péjoratif de la psychiatrie. On ne parle pas assez des soins psychiatriques, il y a beaucoup de stigmatisation faite sur les personnes hospitalisées en psychiatrie. On a de tout ici.
  • Emmeline : On peut très bien hospitaliser un SDF et juste à côté un cadre.

Les barrières sociales s’effacent en entrant dans le pôle psychiatrique ? 

  • Prescillia : Exactement, on peut accueillir un patient qui est infirmier, policier, pharmacien, étudiant … On n’a pas encore eu de journaliste !

J’ai remarqué un rapport fait entre psychiatrie et folie, et la vision péjorative qui s’est construite autour de ce terme. Qu’en pensez-vous ? 

  • Prescillia : On travaille dans le bloc fermé, donc on va principalement voir les patients agités ou en pleine crise. Lorsqu’on passe au bloc ouvert, c’est agréable de voir les patients stabilisés. Un patient peut être malade et vivre avec sa maladie. En travaillant en psychiatrie, on se rend compte qu’il y a partout des personnes malades, ça peut être notre voisin, notre boulanger, mais beaucoup sont stabilisés à l’extérieur. Pour certains, ce petit grain de folie ne doit pas être retiré. J’ai connu une patiente, qui est arrivée avec une phase maniaque, elle était très dispersée. Les médecins avaient mis en place un traitement pour la sédater. Le traitement avait pour visée de casser son délire et on s’est retrouvé face à une personne qui était plus calme, mais qui était triste et renfermée sur elle-même. Ce n’était plus la personne qu’elle avait été, joviale et logorrhée, mais c’était comme ça qu’elle était et que sa famille la connaissait. C’est comme ça qu’elle devait vivre, avec son grain de folie.

Pour vous, cela a été un choix de travailler dans la section fermée ? 

  • Emmeline : Quand j’étais étudiante, j’ai fait un stage dans le secteur fermé dans un autre hôpital. J’ai fait une journée de découverte dans le secteur ouvert et ça m’a beaucoup moins plu. Je ne sais pas comment l’expliquer. En secteur fermé, on est plus nombreux et on a un rapport plutôt privilégié avec le patient. On a au maximum 16 patients pour 6 à 8 soignants. Tandis que le secteur ouvert, ils sont généralement le même effectif mais avec le double de patients. C’est beaucoup plus difficile de prendre le temps avec le patient pour eux. Ici, nous avons un soin médical par jour, or, dans le secteur ouvert c’est deux fois par semaine en général.
  • Prescillia : J’allais compléter, pour la différence entre le secteur fermé et ouvert, comme nous sommes surtout sur la gestion de crise, on se focalise plus sur les symptômes que le patient a actuellement et comment faire pour le stabiliser. Alors que dans le secteur ouvert, le social prend beaucoup de place. La gestion de leur situation sociale était un aspect du métier que je voulais moins vivre. Je voulais vivre cet état de crise et l’évolution du patient avec son traitement.

Pourquoi la psychiatrie de manière plus générale ? 

  • Prescillia : J’ai fait mon stage en psychiatrie parce que c’était imposé, sinon je ne serais jamais venu dans ce milieu ! Je venais avec cette appréhension de voir des fous qui bavent avec des camisoles, comme dans les films. Mais dès mon premier jour, la responsable du pôle de la psychiatrie nous a dit : « Ce sont tout simplement des personnes malades qui ont besoin de nous pour aller mieux ». De là, ma vision de la psychiatrie a changé. Je ne les voyais plus comme des fous, ou des personnes anormales, mais comme des personnes comme toi et moi et qui sont à un stade de leur vie où ils avaient besoin d’aide. Quand un poste s’est libéré je me suis naturellement tournée vers ce domaine.
  • Emmeline : Quand j’ai fait mes stages, je n’aimais pas ce que je faisais au niveau somatique. C’est quand j’ai fait mon stage en psy que je me suis trouvée, j’ai senti que c’était là où je faisais bien mon travail, là où je suis sereine pour venir travailler et aider les gens. On fait énormément de soins relationnels comparé aux autres pôles de la santé où ils font principalement des soins techniques. On établit un lien de confiance avec le patient.

Vos collègues ont évoqué l’augmentation du nombre de patients consommant des stupéfiants. Que pouvez-vous m’en dire ?

  • Prescillia : La plupart de nos patients viennent en raison de consommation de stupéfiants. Ce sont des cas qui prennent de plus en plus de place au sein de nos infrastructures. À Paris, une collègue m’a expliqué que la majorité de leurs patients sont hospitalisés pour les stupéfiants et pour les problèmes de transidentité.

C’est un phénomène qui prend de l’ampleur depuis ces dernières années. Avez-vous été formé pour accueillir ces personnes connaissant des troubles identitaires ? 

  • Emmeline : Non, on ne l’a pas été. Je pense qu’avec l’afflux de ce type de patients, cela amènera à une formation supplémentaire pour les aides-soignants. C’est difficile de les accueillir quand on n’y connaît rien ou très peu.
  • Prescillia : Heureusement que c’est de plus en plus médiatisé, donc l’acceptation de la société se fait de force. Mais je pense que pour l’individu ce n’est pas toujours évident d’être en phase avec lui-même. Leur questionnement par rapport à leur identité ne relève pas d’une maladie mais plus d’un mal-être psychologique qui nécessite un soutien psychologique pour aider à l’acceptation de soi et de l’extérieur.
  • Emmeline : Je dirais aussi que l’environnement est important. Le cercle familial joue beaucoup, certaines familles sont dans le déni pour les troubles de l’enfant. Certains patients ont les symptômes de la maladie mais la famille peut mettre ça sur le dos de la consommation de drogue, et ils renient la maladie même. C’est d’autant plus compliqué, car ils peuvent refuser les soins et les traitements pour le patient.

En effet, nous parlons de votre travail auprès des patients mais votre travail se porte aussi auprès des familles. Comment est-il ? 

  • Prescillia : Nous rassurons les familles en répondant à de nombreuses questions. Il y a un temps d’échanges avec eux et de nombreux appels téléphoniques. Parfois c’est difficile, d’un jour à l’autre, leur dire qu’il n’y a pas eu de changements ou qu’il y a une régression. Ils doivent faire preuve de patience, ils sont indirectement touchés par la maladie.

J’ai l’impression que le grand public ne sait pas à quoi s’attendre tant que nous ne sommes pas concernés par la maladie même. 

  • Prescillia : C’est un changement à l’échelle nationale dont nous avons besoin.

♣ Charlène Romano