Au commencement,
il n’y avait pas un hiver,
mais deux.
Un hiver ancien, posé, presque solennel,
qui avançait lentement sous un manteau d’étoiles pâles.
Il connaissait les chemins, les seuils, les silences.
Il savait quand il fallait attendre,
quand il fallait revenir,
et quand il fallait simplement être là.
Cet hiver-là avait un nom : Saint Nicolas.
Et puis il y avait un autre hiver, plus vif, plus mobile,
qui traversait la nuit comme une comète.
Il surgissait sans prévenir,
allumait des rires,
faisait tinter l’air
et disparaissait avant qu’on ait eu le temps de le retenir.
Cet hiver-là s’appelait le Père Noël.
L’un, l’autre ne se cherchaient pas.
Ils existaient côte à côte.
Chacun sur sa trajectoire, convaincus que le monde tenait ainsi.
Jusqu’au soir où le ciel se rétrécit.
La neige était tombée longtemps.
Elle avait adouci les contours,
mais resserré les chemins.
Le passage ne permettait plus de passer seul.
Saint Nicolas s’arrêta le premier.
Il posa son bâton.
Il leva les yeux vers la nuit claire.
Il observa.
Le Père Noël arriva ensuite,
emporté par son élan.
Il freina trop tard.
Ses clochettes se turent,
comme si elles avaient compris.
Ils se tinrent là, face à face.
Non comme deux rivaux,
mais comme deux manières de tenir l’équilibre.
Saint Nicolas portait le poids des retours,
la mémoire des gestes répétés.
Le Père Noël portait la force de l’irruption,
la promesse de ce qui arrive autrement.
Ils comprirent,
sans mots,
qu’aucun des deux ne traverserait sans l’autre.
Ils n’échangèrent pas de paroles.
Ce qui devait se faire ne se disait pas.
Saint Nicolas déplaça légèrement son pas.
Presque rien.
Juste assez pour laisser un espace.
Le Père Noël ralentit.
ll apprit à poser son pied avant de s’élancer,
à écouter le sol sous la neige.
Ce fut un travail sans témoin.
Un travail sans éclat.
Un travail que personne ne viendrait raconter autour d’une table.
Mais la neige, elle, s’en souvenait.
Dans l’ombre du passage,
une enfant se tenait là.
Elle n’appelait pas.
Elle ne demandait rien.
Elle attendait.
Elle n’avait pas besoin qu’on choisisse pour elle.
Elle avait besoin qu’on tienne ensemble.
Elle regardait leurs gestes,
leurs hésitations,
leurs ajustements presque imperceptibles.
Quand l’espace fut assez large,
elle passa.
Ni devant. Ni derrière. Entre.
Après cela,
Saint Nicolas et le Père Noël avancèrent encore un moment côte à côte.
Leurs pas n’étaient pas les mêmes.
Leur rythme non plus.
La trace qu’ils laissaient était nouvelle.
Elle n’appartenait ni à l’un, ni à l’autre.
Elle appartenait au passage.
Et cette nuit-là,
deux hivers se rencontrèrent.
sans rompre.
On dit que depuis ce temps,
chaque fois que deux adultes se rencontrent autour d’un enfant,
que le chemin se resserre d’abord.
Il oblige à ralentir.
À regarder autrement.
À déplacer un pas.
Et si l’on accepte ce travail discret,
ce travail invisible,
alors
L’espace s’ouvre.
La neige garde la trace.
Même quand plus personne ne regarde.
Peut-être est-ce cela la magie la plus précieuse de Noël : cet instant où la différence cesse de séparer pour devenir passage.