Charlène Romano

À la recherche d'un nid : La maison perchée

Ce matin, l’inspiration et mes yeux ne s’éveillent pas en harmonie. Stagiaire en communication au siège de l'association Cerep-Phymentin, je rédige des articles autour de la santé mentale. Ordinairement j’écris avec fluidité et assurance, mais ce matin je ne parviens pas à diffuser mon grain de folie sur le papier. Un sentiment d’impuissance naît face à cette pénurie d’inspiration. Parfois, il suffit de changer de lieu pour faire germer une idée encore timide. Alors, pourquoi ne pas se rendre dans un café pour nourrir la graine ? Quelques clics et je trouve l’adresse qui tombe à pic : La Maison Perchée. Je me rends au 59 Avenue de la République, au cœur du 11e arrondissement. Le temps orageux me donne l’envie de marcher sur un rythme musical. Je traverse Paris en plongeant dans l’univers poétique de Nekfeu : « D’où vient ce besoin de vouloir tout cacher ? ». Semblable au cache-folie, nous décidons de camoufler ce qui nous rend vulnérable. En refusant sa fragilité, l’individu se restreint au silence de sa souffrance. Pourquoi sommes-nous dans l’incapacité d’épancher notre mal-être auprès de nos semblables ? La pluie s’invite à ma réflexion. Dans les rues parisiennes, les passants se réfugient dans les cafés « en attendant que cela passe », dans un mouvement mélancolique assombrissant l’horizon. Mais, qu’est-ce qu’on vient chercher dans un café - nid dans lequel on se réfugie ? Lumineux, gourmand ou minimaliste, chaque nid est spécifique. L’ambiance du café imprègne les murs, les objets et les clients ; il amène l’individu dans le lieu où il a une raison de déposer son corps et son état d’âme. En échange, le café s’anime par ses clients : les dandys parisiens, les artistes mélancoliques ou encore les tourtereaux au fond de la pièce. Des conversations langoureuses, tumultueuses ou poétiques se répandent chaque jour autour de ces tables. Cette surface plane autour de laquelle on peut trouver une chaise, seule et pensive dans un temps suspendu. Un instant protégé de la temporalité universelle, il nous appartient. La Maison Perchée, un café singulier Ma réflexion prend fin lorsque je fais face à une devanture vitrée où pend un néon bleu : « La Maison Perchée ».

En poussant la porte, je me laisse envahir par cette odeur boisée, si singulière. Le café est tout un art. Vient à moi un jeune homme au regard pénétrant. Un café, s’il-vous-plaît. En m’installant au comptoir, je me remémore un extrait de La Délicatesse de David Foenkinos : « Il lui demanda ce qu’elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m’en vais. On n’avait pas le droit de boire un déca dans ce genre de rendez-vous. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. […] On sent qu’on va passer les dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. ». Le choix de ma boisson révèlera-t-il une partie de moi-même que j’ignore encore ? Je m’installe derrière le comptoir et remarque une citation de Nietzsche écrite à la craie : « Je considère comme gaspillée toute journée où je n’ai pas dansé ». Empreint d'une vitalité, ce café m’apparaît comme un corps virevoltant au gré du vent. Levant la tête, je suis surplombée par de multiples figurines. Maxime, co-fondateur du lieu, m’informe qu’elles sont produites par les mains des « canopiens », les adhérents, avec ou sans troubles psychiques. Fixées dans les airs, ces grues en papier ne tiennent que sur un fil - un lien vital.

« Ce n’est qu’en demeurant visibles et tangibles que les choses se mettaient à exister pour nous, sagement situées dans l’espace et le temps, au milieu des autres choses. » Simone de Beauvoir

La Maison Perchée semble constituer ce rattachement à une base commune, autour d’une équipe où « certains n’ont aucun trouble psychique », me dit Maxime. Une ambition : « garder un équilibre entre les gens concernés et les non-concernés » par la maladie. Ici les canopiens, comme leur entourage, tout le monde se réunit autour d’un panel d'activités, tel que les ateliers artistiques. Les adhérents s’expriment à travers le corps, la plume et le pinceau. Une expressivité créative qui permet l’expression d’un tourment inaudible.

« Je suis tombé malade et j’ai trouvé ça hallucinant de voir que je n’y connaissais rien, on ne m’en avait jamais parlé. Il n’y avait pas d’espace pour les jeunes, alors nous avons créé notre propre solution fondée sur la pair-aidance. À la base l’idée était de créer un espace où on pourrait échanger entre personnes concernées. Un endroit où c’est pas tes potes, c’est pas ta famille, c’est pas ton médecin, mais ce sont les autres, les gens qui sont aussi malades et qui peuvent te conseiller. »

L’association Cerep-Phymentin et La Maison Perchée ont en commun une volonté de donner à voir l’enjeu de la santé mentale, en partageant des témoignages autour de la vie psychique, parfois douloureuse. Nous sommes tous concernés, à des degrés divers, même si la société est parfois sourde face à la souffrance. Le petit grain de folie que nous partageons heureusement tous peut un jour venir enrayer l’harmonie du système psychique. C’est décidé, je retourne à la Maison Perchée dans quelques jours. Je révélerai à Maxime pour qui je travaille. Je souhaitais vivre une immersion en tant que cliente éloignée du milieu du soin, et j’y fus pleinement accueillie. L’inspiration m’est revenue et je tiens maintenant mon sujet : je parlerai d’un lieu d’humanité, de failles et de luttes pour vivre. Dans quelques jours je quitte Paris pour transporter ma plume vers la côte nantaise. Le dernier sac est prêt : stylo, carnet, rouge à lèvre et quelques livres qui sont des incontournables pour cet été.

►Mesdames,Messieurs, je vous souhaite une belle dégustation littéraire.

Simone de Beauvoir, Tous les hommes sont mortels Virginie Despentes, King Kong Theory Liv Stromquist, La rose la plus rouge s’épanouit Platon, Le Banquet Sartre, Huit Clos

Charlène Romano, le 29 juin 2023, pour Cerep-Phymentin

Retrouver l’article de Charlène accompagné de photos.

La maison perchée et ses ateliers : 59 avenue de la République - Paris 75011

Horaires : Ouvert à tous du mardi au vendredi de 10h à 12h30 puis ouvert aux canopiens de 14h à 18h. Samedi de 10h à 18h

Son site : https://www.maisonperchee.org/

En 2021, nous avions aussi réalisé une interview de la Maison Perchée.

 

Visite d'un service psychiatrique au centre hospitalier de Melun. Deux interviews de soignants à la clé et une réflexion sur la définition de la santé mentale. Un dossier proposé par Charlène Romano.

Je ne cesse de découvrir le milieu du soin, et plus particulièrement, depuis que j’ai intégré l’équipe du siège de l’association Cerep-Phymentin. Ce monde, empli de richesses, reste encore méconnu des gens qui, à l'instar de moi-même, sont extérieurs à ce milieu. La psychiatrie semble être un second monde, un univers interne au nôtre. Il est probablement plus imaginatif, créatif et humain. Ce 12 mai 2023 représentait la journée internationale des infirmières et infirmiers. Je décide de partir à la rencontre d’une équipe d’aides-soignants à l’hôpital psychiatrique de Melun (Seine-et-Marne) - des professionnels impliqués et passionnés dans leurs missions. Je voudrais recueillir les témoignages de ceux accompagnant des êtres pourvus d’un « grain de folie ».

🔊INTERVIEW DE DAMIEN LABAUME

Je suis un vieux soignant de la psychiatrie, j’ai commencé à travailler dans les MAS (maisons d’accueil spécialisées) puis j’ai travaillé durant dix ans au centre psychiatrique de Melun. Depuis trois ans, je travaille en EHPAD. 

Quelles sont vos missions dans le service ? 

Nos principales missions sont majoritairement de l’observation. L’observation soignant dans un premier temps, puis de l’observation médicale du fait de leurs traitements. Nous sommes le premier maillon de la chaîne. Nous sommes ceux qui peuvent dire, au médecin, si le traitement est adapté ou non. Selon l’amélioration ou une recrudescence des hallucinations. Le médecin n’est pas là quotidiennement avec le patient. Donc, nous sommes face au patient qu’il soit en pleine crise, qu’il soit dans la découverte de sa maladie, ou un vieux patient chronique ou stabilisé. On vit leur quotidien avec eux. On est formaté à diriger l’individu vers le médecin, mais, parfois, on peut endosser le rôle pour informer sur le traitement. Pour les familles et le patient. 

Vous avez évoqué le fait de découvrir sa maladie. Vous êtes souvent amené à accompagner le patient dans le cheminement de la découverte et de lacceptation de cette maladie ? 

C’est notre quotidien. La psychiatrie est un panel si large. Certains patients sont là pour une mésaventure occasionnelle. D’autres, plus particulièrement avec la jeune génération, on travaille avec des patients qui ont consommé trop de toxiques ou qui ont des troubles identitaires.

Cest donc un travail dacceptation de soi ? 

Oui, prenons le cas d’une personne souffrant d’anorexie ou de boulimie, on fait un travail sur le schéma corporel de la personne. Comment il se visualise. On supprime les miroirs, les téléphones et les réseaux sociaux, la famille aussi. On travaille entre la personne et les soignants. On ajoute plein d’éléments par la suite.

Donc le schéma pour arriver à une acceptation de soi et de son apparence passe par la suppression de tous les éléments reflétant notre moi ? 

Si tu ne supprimes pas la balance et le miroir, pour les boulimiques et les anorexiques, ils gardent les éléments déclencheurs de leurs troubles alimentaires. En laissant ce miroir, ils auront toujours ce regard critique et cette pensée « je suis trop gros ». En l’enlevant on projette l’image corporelle sur autre chose, sur un dessin ou un modelage. Au début, un anorexique se représente comme une boule d’argile. On travaille sur la maladie, dans la connaissance de la maladie pour eux. En parallèle on parle aussi du traitement, qu’est-ce que le traitement pour eux et ce qu’il arrive s’ils ne le suivent pas. Ce schéma suit toujours le même but : l’acceptation de la maladie. C’est en acceptant sa maladie qu’on accepte le traitement.

Lacceptation de la maladie est-elle aussi difficile pour le patient que pour sa famille ? 

C’est très difficile surtout pour la population « jeune », c’est-à-dire les 20-25 ans. Vous avez moins de 25 ans ? Pour les familles, vous êtes encore des bébés qui s’insèrent seulement dans ce monde. Ce qui est difficile dans la maladie mentale, c’est que c’est une maladie chronique. Ce n’est pas une maladie virale ou bénigne qui se soigne durant un temps donné. C’est quelque chose à vie. L’acceptation de la famille diffère entre le diagnostic d’un diabète, par exemple, que d’une schizophrénie.

Vous pensez que cest dû à limage de la maladie quon se construit en elle-même ? 

Par rapport à l’image qu’on se fait de la santé mentale aujourd’hui. Quand on parle de la santé mentale, beaucoup de personnes ont l’image de la santé mentale d’il y a trente ans en arrière. Celle où on enferme les patients dans des chambres matelassées avec les camisoles. Même dans le milieu médical, quand on demande aux étudiants d’USI (Unité de soins intensifs), ce qu’ils pensent de la santé mentale ou de la psychiatrie, ils en ont peur et ils ne veulent pas y aller.

Mais alors, comment définissez-vous la santé mentale ? 

Je la définis comme une maladie quelconque, simplement c’est une maladie incurable. Dès l’instauration de la maladie à l’acceptation de celle-ci, c’est tout un cheminement avec les entretiens, les traitements. Parfois on est face à des échecs de nous-mêmes et du patient. Ce qui intéressant dans la santé mentale c’est que notre travail n’est jamais le même. Que ce soit dans l’observation et dans la relation du patient. Ce qui est intéressant dans la maladie mentale, c’est qu’aujourd’hui nous n’avons pas le recul pour dire pourquoi untel est malade. Quelqu’un qui fume depuis trente ans, on sait pourquoi il a un cancer. Mais lorsqu’un jeune sain a un dérèglement neuronal, et depuis il est schizophrène sans antécédent dans la famille. Parfois, rien ne peut prévoir certains cas, on ne peut pas expliquer le pourquoi du comment.

Mais cela ne conduit pas à une forme de frustration ? 

Je ne sais pas si on peut appeler cela comme une frustration mais comme de l’impuissance. Peu importe où tu travailles dans la santé mentale, on a pour vocation d’aider et de soigner au maximum de nos capacités le patient. Mais quand on est dans l’incapacité, on se sent impuissant. C’est le plus difficile : ne pas réussir à aider la personne ou à comprendre le pourquoi du comment.

Face aux profils variés de vos patients, jimagine quil est important davoir une équipe soudée pour recevoir un appui quotidien ? 

On essaye. Il fut un temps où on avait une grande alliance thérapeutique, entre le corps soignant et le corps médical. Récemment, il y a de nouvelles lois, comme celle portée sur le droit du patient. Les prises en charge sont différentes avec les jeunes médecins qui sont arrivés. Ce corps soignant reste soudé mais le corps médical s’est détaché.

Pourquoi ce changement, maintenant ? 

Depuis le Covid, plein de choses ont changé. Au-delà de la santé mentale, le regard sur la santé a changé. Je suis inquiet pour les professionnels et pour les futurs patients. La prise en charge ne sera pas la même. Il n’y a plus cette même passion qu’on avait. On savait pourquoi on entrait dans ce milieu. Et dix-vingt ans après on était toujours là. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes entrent après leurs études et quittent le secteur deux ou trois ans après. Je pense que pour des raisons de désillusion du métier, ils sont écoeurés par la prise en charge du patient. Une prise en charge trop rapide ou mal faite.

Si je peux me permettre, dun point de vue externe à votre milieu, jai limpression que dans notre société, en général, nous ne prenons plus ou navons plus lopportunité de prendre le temps. Finalement, est-ce quon court vers une valorisation de la rapidité tout en espérant une efficacité ? 

Je ne parlerais même pas d’efficacité parce que dans la rapidité des choses on ne peut avoir d’efficacité. On le voit dès l’instauration des dernières lois. La loi sur le droit du patient a pris une telle ampleur que tout lui est dû. Certes avant il n’en avait pas assez, mais maintenant on ne peut plus dire grand chose et ce sont les soignants qui sont persécutés. Dans le milieu de la santé, maintenant, on ne parle plus de patients mais de numéros. Dans le sens où, la prise en charge est plus dans la rapidité. Plus vite tu sortiras, moins ça nous coûtera cher. Avant, dans le milieu de la santé, on nous donnait les moyens en termes d’humains et de matériels pour les prises en charge. Aujourd’hui beaucoup de soignants partent parce qu’on nous demande de faire tout autant qu’il y a quelques années, mais avec moins de matériels et moins d’humains. On avait un soignant pour cinq/six patients, maintenant nous avons un soignant pour douze patients.

Diriez-vous quil sagit dun manque de financement ou un manque dorganisation ? 

Le milieu de la santé ne met pas les moyens, nous ne savons pas s'ils ne peuvent pas ou ne veulent pas.

Pensez-vous que le pôle de la psychiatrie est délaissé par lEtat et la société en général ? 

Il y a deux pôles délaissés, celui de la santé mentale et celui des personnes âgées. Il faut savoir qu’avant, l’hôpital de Melun était organisé différemment. Il y avait l’hôpital de Melun avec ses structures médicales et 500 mètres plus loin, il y avait le pôle de la psychiatrie. Nous étions totalement isolés de l’hôpital central. Et regarde aujourd’hui, la santé mentale est au sous-sol par rapport à l’hôpital.

Pourquoi ? 

Parce qu'on cache un peu les patients de la santé mentale par rapport au regard du public, les familles, qui vient voir les patients en hôpital général.

La santé mentale et les personnes âgées sont en partie délaissées. Est-ce que la société met en marge les personnes où le cas semble irrémédiable et donc « sans espoir » ? 

On peut le voir comme ça. Une personne âgée qui arrive aux urgences restera trois heures sur un brancard et d’autres personnes seront hospitalisées avant. Parce qu’elle n’est pas une priorité.

Avez-vous déjà été contrainte de refuser une personne ? Pour quelles raisons (places disponibles ou prise en charge non assurée) ? 

Bien sûr. On a ce problème en France, on n’a pas assez de structures dans la globalité de la santé mentale. On n’a pas assez de structures pour la psychiatrie, pour les MAS (maison d’accueil spécialisée). Un exemple récurrent par manque de places : on va autoriser la sortie d’un patient quasi stabilisé pour accueillir un patient agité. En soi l’action est bonne, on doit prendre en charge un patient en souffrance. Mais le risque,  c’est que la personne stabilisée soit on fait un bon choix et il continue à prendre son traitement à l’extérieur même si c’était juste. Ou soit, on s’est trompé et la personne n’a pas pris son traitement. Elle revient à notre bloc, délirant, et tout le travail effectué avec est une perte de temps.

Gaëlle a évoqué le nombre important de mineurs venant dans votre hôpital, or, rappelons-le, cest un service pour les personnes majeures. 

Il n’y a pas de structures pour mineurs ici. Au niveau de la loi, on est dans l’interdiction d’accueil des mineurs avec des majeurs. Quand on les accueille, on doit les placer dans des chambres sécurisées, nous en avons que deux à l’ICND. On a des mineurs mais ce n’est pas un lieu adapté pour eux. Nous avons déjà une charge de travail qui est d’autant plus doublée dans la vigilance parce que le mineur ne peut rester seul.

Cest une organisation nouvelle. Avez-vous été formé pour ce type de situations ? 

Non, on est formé dans la psychiatrie en soi et on est formé sur le terrain. Ce qui est le plus dur pour nous, c’est que ce n’est pas adapté pour eux et pour le bien-être de la personne. On les prive de liberté par obligation pour les protéger. Un mineur est comme toi et moi, il a besoin de parler, de bouger. On lui consacre le temps qu’on peut mais on ne peut pas lui consacrer tout notre temps. Pour le protéger des autres, il se retrouve dans une chambre enfermée. Tu le prives de ses libertés. Entre mineurs, ils peuvent se placer librement toute la journée et non une partie.

Selon vous, le milieu de la psychiatrie doit-il se renouveler ? A savoir, être reconnu par la société pour obtenir une plus grande reconnaissance et une image plus fidèle de la réalité. 

Bien évidemment elle doit évoluer, comme tout. Tout évolue dans le temps. La psychiatrie, comme n’importe quelle maladie, évolue. Avant on traitait la maladie mentale différemment qu’on la traite maintenant. Avant, on la traitait avec des contentions physiques. Ensuite, on a évolué vers les contentions physiques et psychiques, avec les traitements. Maintenant, on est majoritairement sur de la contention psychique. Donc elle évolue et c’est nécessaire parce qu' aujourd’hui, nos arrivants sont de plus en plus jeunes. 

Le regard de la société doit évoluer mais il faut aussi que la société donne les moyens dans la prise en charge, avec des structures par exemple.

Lassociation Cerep-Phymentin a pour projet d’éditer un magazine faisant place à la folie. Un terme devenu tabou dans le milieu de la santé mentale, hors il a été introduit par le père de la psychiatrie, Freud. Ce recul est problématique car il a laissé place à une vision négative du sens de « folie ». Nous travaillons sur notre grain de folie que nous avons tous dune certaine façon. Quen pensez-vous ? 

En soi on a tous une part de folie en nous, maintenant, la différence entre les névroses ordinaires et les psychotiques, c’est que nous avons su stabiliser notre folie par nos traits de caractère. Eux, malheureusement, ils n’ont pas réussi. La folie les a emportés. 

La maladie mentale, soit tu aimes soit tu n’aimes pas. Si tu aimes la maladie mentale tu vas y mettre du tien, tu t’intéresses à ce que tu fais, tu t’informes, tu étudies le domaine. Humainement et mentalement, tu grandis par les témoignages et les expériences de vie de chacun.

Êtes-vous détaché de vos patients ? 

Il le faut. Nous avons déjà reçu des détenus et, humainement, tu n’as pas envie de les soigner. Mais il faut faire son travail.

Pourquoi cette peur de la psychiatrie ? 

Avec tous nos moyens, nous pouvons encore être dans l’inconnu. L’inconnu de la maladie et des explications comportementales. 

🔊INTERVIEW DES INFIRMIÈRES : PRESCILLIA MAVINGA ET EMMELINE ROYAL

Combien de temps travaillez-vous par semaine ? 

  • Emmeline : Les heures varient selon les semaines. Mais on est sur un contrat de 35 heures par semaine. 

Effectuez-vous des heures supplémentaires ? Comment est le rythme ? 

  • Prescillia : Oui mais, là encore ça varie, les heures supplémentaires nous sont proposées sur le site en ligne de l’hôpital, et c’est à nous de choisir si on souhaite en faire ou non. 

Combien de personnes travaillent dans l’équipe et quelles sont les fonctions de chacun et chacune ? Combien de patients accueillez-vous ?

  • Prescillia : Aujourd’hui nous sommes six, quatre infirmiers et deux aides-soignants. L’équipe complète compte sept à huit professionnels. On est parfois en sous-effectif. Nous avons la capacité d’accueillir seize patients, aujourd’hui, nous avons 14 patients. Mais on a deux chambres qui ont été détériorées par les patients lors de leur crise. Donc deux chambres sont en restauration. 

Dans ce contexte, est-ce que les travaux sont rapidement effectués ? Durant ce temps dattente, cela impacte-t-il votre travail ? 

  • Prescillia : Ça dépend du niveau de dégradation, mais généralement on compte une semaine. C’est un impact sur le pôle de la psychiatrie plus largement, par rapport à la capacité d’accueil.
  • Emmeline : Je dirais que ça impacte aussi notre travail, si certains ont besoin d’une chambre d’isolement, on n’a pas de chambre à leur proposer. Ça nous impacte, dans le sens où on a pas de charge de manœuvre. 

Gaëlle ma indiqué que, parfois, vous deviez nettoyer les toilettes bouchées ou régler des problèmes de fuites. Êtes-vous amenée à accomplir des tâches qui ne font pas partie de votre fiche de poste et pourquoi ?

  • Prescillia : Oui. Parfois, il y a des problèmes techniques où on ne peut pas attendre que le technicien arrive. Si on trouve un chariot de ménage, on fera la tâche nécessaire. Par exemple, on a des patients SDF qui n’ont pas de vêtements, et bien on n’hésite pas à ramener des vêtements de chez nous. Ça fait pas partie de nos tâches mais on s’implique pour eux.  
  • Emmeline : Ce ne sont pas des tâches, c’est juste des attentions pour leur bien-être. 

Quelles sont, selon vous, les raisons de ce manque matériel ? Un manque budgétaire ou une organisation à repenser ?

  • Emmeline : Les chambres qui sont dégradées c’est plutôt un manque de financement et d’effectifs au niveau des techniciens qui réparent. Ils sont peu pour tout l’hôpital. Et le manque de personnel concerne plusieurs niveaux. 

Comment ça ? 

  • Prescillia : Aujourd’hui, deux postes d’aides-soignants sont gelés. Deux collègues partent à la retraite cet été, et pour l’instant on est en pourparler avec la direction pour s’assurer que les postes seront dégelés et occupés à la rentrée. 

Lun de vos collègues a évoqué la loi des droits du patient. Avez-vous perçu un changement particulier depuis ? 

Les droits du patient font qu’on ne peut pas les fouiller, et la drogue circule. On n’est pas flic pour récupérer tout ça. Donc, dans nos prises en charge on leur donne des traitements sachant qu’en parallèle ils peuvent consommer des stupéfiants. Et quelques semaines après, rebelote, on doit recommencer le travail. 

Emmeline : Les patients psy sont plus exposés aux drogues, et on en voit de plus en plus.

Pensez-vous que la psychiatrie est un pôle délaissé ? 

  • Emmeline : Oui largement. Quand j’en parle à mes proches, on dirait que c’est un autre monde pour eux. Ils imaginent des gens sous camisoles, alors que c’est pas ça la psychiatrie. Je pense que les personnes avec des troubles psy sont mises en marge de la société alors que certains ne sont pas forcément violents ou dangereux. Toutes ces personnes là sont mises de côté par la société et cela justifie la mise à l’écart de l’hôpital psychiatrique, on est comme le petit pauvre de la médecine. 
  • Prescillia : Il faut être dedans pour comprendre ce qu’il se passe. Moi-même, avant de faire mon stage en psychiatrie, j’avais cette représentation qu’on peut voir dans les films ou séries avec des fous qui crient sous camisoles. Cette appréhension du secteur est partagée par nos collègues des autres services hospitaliers, ils ont un regard péjoratif de la psychiatrie. On ne parle pas assez des soins psychiatriques, il y a beaucoup de stigmatisation faite sur les personnes hospitalisées en psychiatrie. On a de tout ici. 
  • Emmeline : On peut très bien hospitaliser un SDF et juste à côté un cadre. 

Les barrières sociales seffacent en entrant dans le pôle psychiatrique ? 

  • Prescillia : Exactement, on peut accueillir un patient qui est infirmier, policier, pharmacien, étudiant … On n’a pas encore eu de journaliste ! 

Jai remarqué un rapport fait entre psychiatrie et folie, et la vision péjorative qui sest construite autour de ce terme. Quen pensez-vous ? 

  • Prescillia : On travaille dans le bloc fermé, donc on va principalement voir les patients agités ou en pleine crise. Lorsqu’on passe au bloc ouvert, c’est agréable de voir les patients stabilisés. Un patient peut être malade et vivre avec sa maladie. En travaillant en psychiatrie, on se rend compte qu’il y a partout des personnes malades, ça peut être notre voisin, notre boulanger, mais beaucoup sont stabilisés à l’extérieur. Pour certains, ce petit grain de folie ne doit pas être retiré. J’ai connu une patiente, qui est arrivée avec une phase maniaque, elle était très dispersée. Les médecins avaient mis en place un traitement pour la sédater. Le traitement avait pour visée de casser son délire et on s’est retrouvé face à une personne qui était plus calme, mais qui était triste et renfermée sur elle-même. Ce n’était plus la personne qu’elle avait été, joviale et logorrhée, mais c’était comme ça qu’elle était et que sa famille la connaissait. C’est comme ça qu’elle devait vivre, avec son grain de folie. 

Pour vous, cela a été un choix de travailler dans la section fermée ? 

  • Emmeline : Quand j’étais étudiante, j’ai fait un stage dans le secteur fermé dans un autre hôpital. J’ai fait une journée de découverte dans le secteur ouvert et ça m’a beaucoup moins plu. Je ne sais pas comment l’expliquer. En secteur fermé, on est plus nombreux et on a un rapport plutôt privilégié avec le patient. On a au maximum 16 patients pour 6 à 8 soignants. Tandis que le secteur ouvert, ils sont généralement le même effectif mais avec le double de patients. C’est beaucoup plus difficile de prendre le temps avec le patient pour eux. Ici, nous avons un soin médical par jour, or, dans le secteur ouvert c’est deux fois par semaine en général. 
  • Prescillia : J’allais compléter, pour la différence entre le secteur fermé et ouvert, comme nous sommes surtout sur la gestion de crise, on se focalise plus sur les symptômes que le patient a actuellement et comment faire pour le stabiliser. Alors que dans le secteur ouvert, le social prend beaucoup de place. La gestion de leur situation sociale était un aspect du métier que je voulais moins vivre. Je voulais vivre cet état de crise et l’évolution du patient avec son traitement. 

Pourquoi la psychiatrie de manière plus générale ? 

  • Prescillia : J’ai fait mon stage en psychiatrie parce que c’était imposé, sinon je ne serais jamais venu dans ce milieu ! Je venais avec cette appréhension de voir des fous qui bavent avec des camisoles, comme dans les films. Mais dès mon premier jour, la responsable du pôle de la psychiatrie nous a dit : « Ce sont tout simplement des personnes malades qui ont besoin de nous pour aller mieux ». De là, ma vision de la psychiatrie a changé. Je ne les voyais plus comme des fous, ou des personnes anormales, mais comme des personnes comme toi et moi et qui sont à un stade de leur vie où ils avaient besoin d’aide. Quand un poste s’est libéré je me suis naturellement tournée vers ce domaine. 
  • Emmeline : Quand j’ai fait mes stages, je n’aimais pas ce que je faisais au niveau somatique. C’est quand j’ai fait mon stage en psy que je me suis trouvée, j’ai senti que c’était là où je faisais bien mon travail, là où je suis sereine pour venir travailler et aider les gens. On fait énormément de soins relationnels comparé aux autres pôles de la santé où ils font principalement des soins techniques. On établit un lien de confiance avec le patient. 

Vos collègues ont évoqué laugmentation du nombre de patients consommant des stupéfiants. Que pouvez-vous m’en dire ?

  • Prescillia : La plupart de nos patients viennent en raison de consommation de stupéfiants. Ce sont des cas qui prennent de plus en plus de place au sein de nos infrastructures. À Paris, une collègue m’a expliqué que la majorité de leurs patients sont hospitalisés pour les stupéfiants et pour les problèmes de transidentité.

Cest un phénomène qui prend de lampleur depuis ces dernières années. Avez-vous été formé pour accueillir ces personnes connaissant des troubles identitaires ? 

  • Emmeline : Non, on ne l’a pas été. Je pense qu’avec l’afflux de ce type de patients, cela amènera à une formation supplémentaire pour les aides-soignants. C’est difficile de les accueillir quand on n'y connaît rien ou très peu. 
  • Prescillia : Heureusement que c’est de plus en plus médiatisé, donc l’acceptation de la société se fait de force. Mais je pense que pour l’individu ce n’est pas toujours évident d’être en phase avec lui-même. Leur questionnement par rapport à leur identité ne relève pas d’une maladie mais plus d’un mal-être psychologique qui nécessite un soutien psychologique pour aider à l’acceptation de soi et de l’extérieur. 
  • Emmeline : Je dirais aussi que l’environnement est important. Le cercle familial joue beaucoup, certaines familles sont dans le déni pour les troubles de l’enfant. Certains patients ont les symptômes de la maladie mais la famille peut mettre ça sur le dos de la consommation de drogue, et ils renient la maladie même. C’est d’autant plus compliqué, car ils peuvent refuser les soins et les traitements pour le patient. 

En effet, nous parlons de votre travail auprès des patients mais votre travail se porte aussi auprès des familles. Comment est-il ? 

  • Prescillia : Nous rassurons les familles en répondant à de nombreuses questions. Il y a un temps d’échanges avec eux et de nombreux appels téléphoniques. Parfois c’est difficile, d’un jour à l’autre, leur dire qu’il n’y a pas eu de changements ou qu’il y a une régression. Ils doivent faire preuve de patience, ils sont indirectement touchés par la maladie.  

Jai limpression que le grand public ne sait pas à quoi sattendre tant que nous ne sommes pas concernés par la maladie même. 

  • Prescillia : C’est un changement à l’échelle nationale dont nous avons besoin. 

 

📌LA SANTE MENTALE : UN ENJEU DE SOCIETE

Une question m’interpelle : comment définir la psychiatrie. Après ces témoignages, il me semble que je ne suis toujours pas en capacité d’établir une définition fidèle de ce domaine. Cette interrogation m’amène à réfléchir, plus généralement, sur la santé mentale. Première pensée : la folie. Seconde pensée : montagneux. Survolant les Alpes à l’instant même où j’écris, ma plume est biaisée par ce contexte. Néanmoins, cette pensée reste intéressante par sa dimension métaphorique. À la fois puissante et imposante mais aussi fragile et tangible, la montagne se singularise par sa contorsion physique qui dessine l’horizon. Après une analyse poétique et énigmatique, faisons un flashback vers une définition plus théorique.

Montagne : nom féminin. L’écorce terrestre se plisse lorsquune plaque océanique, constituée de matière dense, entre en collision avec une plaque continentale constituée de matière moins dense.

Une signification pouvant s’appliquer sur l’état psychique d’un individu. Deux états, ou pôles, mentaux qui s’entrechoquent et créent une collision irrémédiable. Une singularité. 

Mais une réflexion hypothétique, telle que celle-ci, ne me permet pas de répondre précisément à ma question. Face à cette impuissance, je pose une réflexion sur cette incapacité à laquelle je fais face. Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à définir ce terme ? Nous sommes en capacité de détailler une période historique, d’expliquer un courant philosophique, ou encore de résoudre une équation mathématicienne. Mais ce qui peut nous sembler évident ne l’est plus tout autant lorsqu’il  s’agit d’expliquer ce qu’est la santé mentale. Nous ne trouvons pas plus d’aide auprès d’Internet qui n’attribue pas de définition précise à cette notion. Désigné comme un « terme relativement récent et polysémique », nous lui aurions attribué un nom et une valeur depuis peu. Apparaissant comme contemporain à notre société, on peut s’interroger sur le positionnement du grand public à son égard. 

Vérifiez alors par vous-même et demandez à votre entourage : « Comment définissez-vous la psychiatrie ? Et la santé mentale ? ». En général, les individus, externes à ce secteur, dressent un portrait cliché et réducteur de la psychiatrie. Gaëlle, infirmière médiante à l’hôpital psychiatrique de Melun, dénonce quant à elle cet « aspect négatif du domaine qui est toujours montré. L’image de la psychiatrie est très faussée par les médias, par ce que les gens en disent et en pensent. Les films véhiculent cette image, allant d’Hannibal Lecter à Jeffrey Dahmer. ». En effet, la première réponse est majoritairement : la folie. Puis s’ensuit une liste de stéréotypes médiatisés sur l’écran ou sur le papier : la chambre d’isolement, les couloirs blancs et froids, la camisole, la « maison de fous ». À dire vrai, la « maison de fous » est une réponse qui se légitime. Jusqu’au XIXe siècle, les infrastructures accueillant les malades étaient des « asiles de fous ». Exclus de la ville, ils étaient marginalisés et cachés de la société. Cette exclusion a créé des changements irréversibles selon certains du personnels soignants : « Toutes ces personnes-là sont mises de côté par la société et cela justifie la mise à l’écart de l’hôpital psychiatrique, on est comme le petit pauvre de la médecine. ».  Cette vision est importante pour comprendre l’évolution de notre relation avec la psychiatrie et les personnels soignants. Nous avons un héritage idéologique qui nous est transmis et qui influe quotidiennement sur la perception de notre monde. Comme le démontre Pierre Bourdieu : « C’est faute d’apercevoir l’action des mécanismes profonds, tels que ceux qui fondent l’accord des structures cognitives et des structures sociales et, par là, l’expérience toxique du monde social ». De fait, la « logique reproductrice du système » influe conséquemment sur la représentation de la psychiatrie, une « représentation plus ou moins consciente et intentionnelle ». Cette distanciation, avec le milieu psychiatrique, se fait dès l’organisation structurelle de l’hôpital. Pour atteindre le pôle psychiatrique, cela ne se fait pas par l’entrée principale mais par une ouverture située à l’arrière du bâtiment central. Positionnés à un niveau inférieur, les blocs psychiatriques semblent cachés du grand public, comme exclus du domaine de la santé. En fait-il partie ou uniquement de manière partielle ?

Néanmoins, dès mon entrée, je fais une rencontre qui brise tous ces préjugés. Un jeune homme, autiste, vient vers moi. Considéré comme l’enfant de l’hôpital, David me salue de façon singulière. En se rapprochant de mon corps, il attrape délicatement mon lobe de l’oreille dans le but d’approcher mon visage du sien. Surprise par ce contact, je me raidis en appréhendant une réaction violente de sa part. Gaëlle, à mes côtés, me rassure et me conseille de me laisser faire. Front contre front, son regard plonge et perce le mien. Ces quelques secondes sont une forme d’entendement entre nous, la confiance et le respect mutuel. Cet instant unique où, pour la première fois, je me sens si connectée à un individu. C’est intéressant comme la maladie peut, parfois, renvoyer un individu à sa simplicité. En sortant du bloc, je jette un dernier regard et je perçois David derrière la vitre. Quelle beauté. Ce regard.

Finalement, gardons-nous de tous préjugés et soyons à l’écoute de chacun pour parvenir à comprendre l’individu et sa maladie. Apprenons à ne plus avoir cette peur de l’extérieur, cette appréhension, ancrée par notre héritage éducatif, qui nous ronge face aux personnes sans abris, aux handicapés, aux alcooliques. Ces êtres, ou dangers, sont stigmatisés par nos agissements. Derrière nos différences se cache une quête à la fois singulière et commune, celle que chacun de nous mène en vue de donner sens à sa propre existence. J’achève cette réflexion sur les mots d'Hervé Mazurel : « Le corps est dans le monde social mais le monde social est aussi dans les corps. »[1].


[1] Arte, « Comment l’histoire façonne-t-elle notre inconscient ? »

https://www.youtube.com/watch?v=io65juW_3FE

Charlène Romano, le 22 mai 2023

 

Le handicap invisible : une apparence trompeuse

« Je souhaite devenir coiffeuse. Mon frère dirige son entreprise et, qui sait, je pourrais travailler dans son salon ! »
- Lily, 15 ans.

Interpellée par sa voix joviale, Lily me transperce de son regard ampli d’assurance. Dans ce folklore parisien du vendredi soir, cette jeune fille me couve d’un accueil chaleureux dès mon arrivée. Nous connaissons tous cette sensation, un " feeling ", lorsque deux individus fusionnent et se laissent transporter par le fil de leur discussion. Il nous a suffi que de quelques minutes pour qu’elle me confesse ses ambitions et son projet professionnel.    

Durant cet échange intime, je me questionne sur des informations plus formelles à son sujet. Quel âge peut-elle avoir ? Elle me paraît âgée, 20 ans ? Non, impossible elle a un entrain et une insouciance si propres aux enfants. Alors, 17 ans ? C’est incohérent, elle est si confiante et déterminée dans des projets futurs. Et si je lui demandais simplement ? Est-ce impoli ? Après réflexion, je me résous à abandonner cette tentativeveine.     

Soudain, un homme vient à nous. Charles. Sa présence arrête brusquement la voix/le discours de Lily. Il s’excuse et m’invite à le suivre et me dit simplement : « Vous avez été plongée dans son illusion. ». Je ne comprends pas. De quoi parle-t-il ?

Face à mon incompréhension, il comprend que je mérite une explication. Je découvre alors que la jeune fille à qui je parlais, est atteinte de troubles psychiques. Sa maladie est telle, qu’elle comporte des épisodes de mythomanie. Mélangeant la réalité avec le désir, je suis en fait pour elle, comme une toile vierge sur laquelle elle peut transposer ses projections.

J’observe de loin cette jeune fille au rire éclatant et lumineux, mais mon regard sur elle a changé. Je ne peux m’empêcher de penser à l’avenir prometteur qu’elle aurait pu avoir sans ce handicap.

Comment pouvons-nous retirer tout espoir à une enfant qui entre tout juste dans ce monde, qui est le nôtre ? Un monde dans lequel nous devons constamment nous battre pour obtenir ce que l’on souhaite. Comment lui dire qu’elle ne sera peut-être jamais coiffeuse ?

Face à Lily, je fais face à une grande et haute toile blanche sur laquelle je n’attends que de voir le premier coup de pinceau. L’apparition d’une simple ligne me permettant de dire : « Je crois en elle ».

Charlène Romano, le 20 avril 2023

Briser la perfection

Présentée comme un idéal à atteindre, sous une apparence séduisante, la perfection est aussi illusion trompeuse et mortifère. Une fois la plénitude sans défaut accomplie, que resterait-il ? Un sentiment d'achèvement qui nous fige et nous désincarne... tout l'inverse d'un héros vivant et en mouvement.

Nous sommes imparfaits. C’est un fait. Remercions la curiosité de Pandore qui nous a condamnés à un sort terrible : la nature humaine. Mais, dans nos imperfections et nos blessures, devenons Prométhée et désobéissons aux dieux et à la pression qu’ils imposent par ce qu’ils définissent comme la norme.

Sans en prendre systématiquement conscience, nous sommes entourés de représentations illustrant la perfection ou le chemin permettant de l’atteindre. Idéalisé à travers divers domaines - la publicité, la mode, ou encore la mythologie - l’individu se voit devenir l’objet d’une mystification.

« Manger sainement », « Repulper votre peau », « Obtenez un ventre plat ». Une multitude de conseils fuse sur Internet. Une diffusion infinie et un objectif commun : élever l’individu vers un idéal. Le public fait face à une pression normée, plurifactorielle : comment devons-nous être, à quoi devons-nous aspirer et devenir ?

Adolescents et jeunes adultes se sentent impuissants face à cette pression invisible, obligés de répondre à cet idéal véhiculé dans notre société. Mais l’idéal peut-il être réduit à une vision unique ?

« En général les jeunes sont obnubilés par le modèle du Super-héros. »

Penchons-nous sur le mythe du « Super-héros ». Les modèles féminins accomplissent de grands exploits surhumains. Pour ce qui est de la gente masculine, nombreux sont les figures incarnant la force et la virilité. Allant d’Hercule accompagné de ses muscles saillants, jusqu’à la vaillance de Jason, il y a de quoi complexer n’est-ce-pas ?

Mais alors, pouvons-nous nous réapproprier ces mythes ?

Façonnés, telle une structure en argile, les mythes se solidifient pour devenir une structure qui paraît figée. En réalité, il ne suffit que de quelques gouttes pour humidifier la structure initiale et produire une nouvelle création.

Sous une plume féminine, Christa Wolf réinterprète le mythe de Médée. Réduit à une condamnation pour sorcellerie et assassinat de ses enfants, Euripide fixe Médée dans un jugement éternel. Wolf emploie cette matière malléable dans le but de dessiner une nouvelle ligne de perspective : une femme marginalisée dans une société patriarcale. Notons, par ailleurs, que le courage de Jason, son mari, semble s’être fondu dans la matière.

Nous avons le pouvoir d'humidifier cette structure d’argile qui sèche à une vitesse effarante. Créons des mythes où s’opère le dévoilement d'un héros laissant transparaître un relief, jusque-là méconnu. Dans un processus de déstructuration de l’idéal héroïque, le développement du héros s’oriente vers une humanisation. Dans ce sens, l’individu se compare à une figure, non plus inatteignable, mais réaliste. Une nouvelle perception de « l’idéal » où le héros embrasse son humanité.

« C'est un sur-humain inhumain qui leur ressemble et ils peuvent se reconnaître dans leurs blessures. » 

Les blessures. Un sujet sensible. De natures et de profondeurs variées, la blessure marque chaque individu de manière singulière. Apprenant à les cacher, nous assimilons les cicatrices à une preuve de faiblesse. Quelle erreur.

Je délègue ma plume aux mots de Jean Genet : « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi ».

Humilié, brisé, fracturé. Voici mon « Moi », voici ma force. Acceptez-moi comme je suis. Imparfait(e).

Charlène Romano, le 22 mars 2023

 

Du nouveau du côté de la communication Cerep-Phymentin

Nouvelle année dit nouvelle recrue. En ce mois de février, Cerep-Phymentin ouvre ses portes à une jeune fille singulière. Naturelle et pétillante, Charlène Romano apporte une vague de fraîcheur. Finalisant une formation Lettres et communication, son profil littéraire est un atout certain pour notre comité rédactionnel associatif. Charlène a en effet affûté sa plume et son style au sein de l’université de la Sorbonne. Son habilité rédactionnelle est perceptible à travers ses différentes productions, en témoigne son interview « La diaspora artistique iranienne en France », auprès d’une militante iranienne, Azar Mazaji.

Aujourd’hui, Charlène oriente sa curiosité et ses écrits vers la pédopsychiatrie.

« Il faut savoir provoquer le destin. Nous n’avons qu’une vie après tout. » nous dit-elle !

Préparez-vous à une rencontre sortie tout droit d’un scénario de Godard.

Dans un café parisien, Charlène se laisse guider c e  jour- par son instinct. Cet état d’esprit l’amène à croiser le chemin de Anne Brisson, psychologue.

Par ce biais, la jeune étudiante se présente rapidement auprès de responsables de la direction générale de Cerep- Phymentin.

Lors d’un entretien au siège, l’union de la littérature et de la communication apparaît comme une évidence.

Tel un petit acrobate de la langue, Charlène travaille, depuis le 3 février, auprès de Véronique Miszewski. Les échanges vont bon train, les idées fusent et les post-it couvrent les murs.

« La communication, une source de création infinie »

À contrario de la vision de Edward Bernays, notre recrue présente un profil novateur, prête à faire résonner une voix jeune et pleine d'humanité, souriante, formelle, comme un cri déchirant parfois.

Adoptant ce prisme, elle accorde un grand intérêt à faire entendre le point de vue de chacun constituant la base fondatrice d’un ensemble uni et relié par un socle commun : le soin.

« Il est grand temps d’employer la beauté qui se décèle dans la communication à l’ère du numérique. »

Dans cette nouvelle ère – celle du numérique, le domaine fait face à une nouvelle génération. Une jeunesse confrontée à un monde dégorgeant d’informations et de désinformations.

En vue d’élargir l’audience de Cerep-Phymentin, Charlène veut s’engager dans la responsabilité du communicant : être l’intermédiaire reliant un public jeune non averti aux professionnels de la santé. Elle entend sensibiliser ses pairs aux grands maux de ce monde et aux solutions apportées par les vrais spécialistes des troubles psychiques.

  • Charlène Romano, le 15 février 2023