Vernissage de l'exposition Animal intérieur

Exposition de l’Animal intérieur au Copes : ouverture du vernissage par Bernard GOLSE

Un projet mené en collaboration avec Hervé GERGAUD, photographe, et la Faculté EIFFEL - Métier du son

C’est véritablement un grand plaisir que de dire quelques mots en guise d’ouverture de ce vernissage de l’exposition intitulée « L’animal intérieur ».
Je remercie tout d’abord les personnes présentes aujourd’hui et en tout premier lieu les adolescents de l’IME bien entendu sans lesquels ce projet n’aurait pas vu le jour, mais aussi les adolescents de l’HDJ Montsouris et de l’HDJ Boulloche qui se sont déplacés, tous les professionnels qui nous ont rejoints ce matin, nos divers partenaires et les administrateurs de l’association CEREP-Phymentin.
Des remerciements tout particuliers également, cela va de soi, à Hervé GERGAUD (le photographe, artiste-créateur) et aux étudiants de la Faculté EIFFEL - Métier du son qui ont accepté de se lancer dans ce projet innovant et vraiment magnifique !

Je souhaite maintenant dire ce que m’inspire ce projet et même si, bien entendu, je souhaite être bref, je voudrais tout de même faire part de quelques-unes des associations de pensée qu’il suscite en moi.
J’imagine que les adolescents présents aujourd’hui trouveront peut-être mes propos ennuyeux, parce qu’à leurs yeux les adultes sont souvent ennuyeux …
Cela étant, je suis un adulte et il y a certaines choses que je ne peux pas ne pas dire et d’ailleurs je suis heureux d’être un adulte qui s’intéresse aux adolescents et qui espère ne pas les décourager, eux, de devenir adultes !

Tout d’abord je dois dire que cette exposition me ravit car elle va exactement dans le sens de ce que l’Institut Contemporain de l’Enfance - fondé l’an dernier avec quelques personnes ici présentes - souhaite promouvoir, à savoir la relation dialectique qui existe entre la créativité artistique et la créativité thérapeutique : les soignants ont beaucoup à apprendre des artistes, mais il me semble que l’inverse est également vrai car les uns comme les autres plongent dans leurs zones psychiques les plus profondes pour soigner ou pour créer.

La musique ayant une grande place dans ma vie, j’adresse aussi mes plus vives félicitations aux étudiants du département « métier du son » de la Faculté EIFFEL car, à partir de sons liés à des espaces particuliers et en relation avec l’animal intérieur choisi par les jeunes de l’IME, ils ont su produire - on pourrait même dire inventer - des matériaux sonores qui ne sont pas figuratifs au sens d’une musique figurative, mais qui se situent quelque part entre représentation et affect.
Il me semble qu’ils ont ainsi créé des « atmosphères » très en lien avec ce que les jeunes voulaient exprimer, le concept d’atmosphère ayant désormais acquis ses lettres de noblesse dans le champ de la psychologie et de la psychopathologie.
En scannant le QR code de chaque image, j’espère que vous sentirez ce que je veux dire ici.
En tout cas, s’ils y sont parvenus - et personnellement je pense qu’ils y sont parvenus - c’est grâce à une formidable capacité d’identification au vécu intime des jeunes de l’IME ce qui est, à mes yeux, extrêmement émouvant.

Mais au-delà de ce premier point, je pense aussi à D.W. WINNICOTT, ce grand pédiatre et psychanalyste anglais qui nous a tant appris.
Il disait que la santé mentale, ce n’est pas du tout l’absence de symptômes ou l’absence de souffrance psychique mais la capacité d’en faire quelque chose de créatif et de partageable.
Des parties bizarres, la question n’est pas d’en avoir ou pas.
Nous en avons tous en nous, artistes, soignants, professionnels ou adolescents de l’IME, la question étant plutôt de savoir ce que nous en faisons et je crois qu’aujourd’hui, les adolescents de l’IME nous donnent une grande leçon à ce sujet.
Pour ceci, un immense merci à eux, donc.

 Encore en lien avec les travaux de D.W. WINNICOTT, je voudrais dire aussi quelque chose du monde interne de tout un chacun et du regard qui peut être porté sur ce monde interne, un regard porté par soi-même ou un regard porté par l’autre.
Jouer au portrait chinois (« Si j’étais un animal ? ») est une chose, donner à voir à l’autre ce que l’on pense véritablement de soi en est une autre.
« Si tu étais un animal, lequel serais-tu ? »
La réponse peut en fait demeurer très superficielle.
En revanche, « de quelle animalité te ressens-tu porteur au fond de toi », est une question beaucoup plus profonde, ouverte, risquée et engageante.
C’est pourtant à cette question que les adolescents de l’IME ont d’une certaine manière accepté de répondre mais en passant par la créativité des artistes engagés dans ce projet et qui les ont véritablement accompagnés dans ce questionnement afin de les aider à trouver une réponse qui soit acceptable, qui soit supportable, qui soit intégrable par eux-mêmes et par autrui.
Le fait que les adolescents demeurent reconnaissables en dépit de la transformation artistique de leur image évite évidemment ici un risque de perte d’identité - voire de dépersonnalisation - qui aurait pu être traumatique.

Mais il y a plus encore et je terminerai là-dessus.
Dans les tests projectifs que nous utilisons dans notre métier de psychologues ou de pédopsychiatres, nous proposons en fait au patient de projeter son monde interne, ses éventuelles angoisses et ses mécanismes de défense sur une image thématique ou non, mais en tout cas une image qui existe déjà et que nous lui présentons.
Ici, la dynamique est exactement inversée puisque ce sont les adolescents qui ont projeté leur monde interne sur une image non encore existante mais créée par le fait même de leur rencontre avec le photographe et dès lors donnée à voir à l’autre.
Je donne à voir à l’autre quelque chose de moi, soit une image plus ou moins fantasmatique, mais la manière dont l’autre va la voir, la regarder et la contempler, me permet alors de me voir à partir du regard de l’autre.
De « l’Amour fou », André Breton disait qu’il renvoyait à une expérience singulière du type : « Je m’étais perdu à moi-même et tu es venu me donner de mes nouvelles ».
Il y a quelque chose de cela, me semble-t-il, dans la création de ces photos imaginaires sur le thème de l’animal intérieur qui évoque bien entendu toute la pulsionnalité dont nous sommes chacun d’entre nous porteurs, qu’on le sache ou non et qu’on l’accepte ou non.
Il s’agit bien, ici aussi d’une relation en miroir (comme dans « l’Amour fou ») mais l’image dans le miroir n’est pas celle du corps, mais celle qui réside au plus profond du monde interne des patients et qui vient résonner avec le monde interne du spectateur lui-même renvoyé à son animalité personnelle.
Voir et se voir dans le regard de l’autre afin d’intérioriser et faire quelque chose au fond de soi de ce regard d’abord venu de l’extérieur.
L’histoire marche dans les deux sens et c’est là sa force humanisante.
Bref tout un jeu de regard et de miroir qui symbolise à mes yeux, c’est bien le cas de le dire, quelque chose de la créativité artistique aussi bien que thérapeutique.

Me voilà donc revenu à mon point de départ et c’est là que je vais vous laisser, en remerciant encore tous ceux (adolescents et artistes) qui ont permis de mener ce projet à bien ainsi que tous ceux qui sont présents aujourd’hui.
Aux uns comme aux autres, je souhaite la plus belle visite possible de cette exposition décidément « pas-comme-les-autres », une visite qui puisse être l’occasion de rencontres avec soi-même et avec autrui.

Merci à toutes et à tous.
Bernard Golse, le 8 décembre 2022