Décès de Geneviève Haag

La CIPPA est en deuil. Notre chère Geneviève Haag nous a quittés hier. Entourée de sa famille, elle est partie sereinement.
Notre chagrin est grand, notre dette est immense, mais son œuvre reste.                                                   

Geneviève Haag était psychiatre, ancienne interne des hôpitaux psychiatrique de la Seine. En 1964, elle est appelée par le Pr Didier Duché pour rejoindre l’équipe de L’Institut Médico-Éducatif Marie-Auxiliatrice à Champrosay (Essonne). Elle en deviendra le médecin chef, et y créera, dans les années 80, des dispositifs innovants de soins individuels et groupaux destinés aux enfants atteints de troubles polyfactoriels présentant des troubles autistiques sévères. Dans les années 60, elle rejoint le Dr Henri Sauguet à L’Institut Claparède à Neuilly-sur-Seine. Elle y rencontre James Gammill qui devient un de ses superviseurs, il l’engage à établir des contacts avec les psychanalystes anglo-saxons qui s’occupent d’autisme.

A L’Institut Claparède, elle a occupé les fonctions de médecin consultant et de psychothérapeute auprès des enfants qui présentaient, pour certains, des états autistiques. Elle les recevait avec leur famille, avec leurs frères et sœurs, s’intéressait de plus en plus au développement du bébé en ayant bénéficié des transmissions de Frances Tustin et de Esther Bick, dont elle fut l’élève. Elle créa une équipe pluridisciplinaire dynamique avec des dispositifs novateurs et une méthode de travail psychanalytique extrêmement rigoureuse.

Infatigable chercheuse, Geneviève Haag a publié de nombreux articles depuis 1977 où elle a présenté avec César et Sarah Botella au congrès des Langues Romanes une conférence princeps « En deçà du suçotement », a ouvert la voie vers de nombreuses recherches et écrit 300 articles, traduits en différentes langues.

En 2018, elle obtient le 56e Prix Maurice Bouvet pour son ouvrage paru aux P.U.F. « Le moi corporel. Autisme et développement ». Un deuxième ouvrage paraîtra en août 2022 qui retrace l’histoire et l’actualité de ses recherches sur les processus de changement dans l’autisme, « Grille d’évaluation de l’autisme : cliniques des diagnostics et des processus de changement dans les TSA » aux Puf.

Ses travaux se situent au carrefour de plusieurs chemins, où elle a croisé des pionniers de la psychanalyse des espaces psychiques primitifs, qui ont, eux aussi, défriché les voies empruntées par le négatif. Elle avait installé un dialogue avec plusieurs psychanalystes dont André Green, Piera Aulagnier, Didier Anzieu, Michel Soulé, Florence Guignard, Didier Houzel, Bernard Golse, Maria Rhode et David Rosenfeld. On retrouve également dans ses travaux un prolongement du travail winnicottien de défrichage des relations entre soma, psyché, création des espaces psychiques avec lesquels elle faisait des liens avec ses propres découvertes autour du moi corporel et de l’image du corps. C’est en 1983 qu’elle devient membre de la SPP. C’est autour de Donald Meltzer et Martha Harris et de leur venue régulière en France que fut créé en 1984 le Gerpen auquel Geneviève participa activement. En 2004, elle fonde la CIPPA en demandant à M.-D. Amy de la rejoindre pour l’aider à organiser le rassemblement des psychanalystes s’occupant des personnes autistes, à promouvoir des recherches, à organiser des débats avec d’autres disciplines, aujourd’hui la Cippa est devenue une association avec un rayonnement international qui conserve l’esprit de recherche et d’ouverture transmis par Geneviève Haag.

Toute sa vie, son engagement auprès des parents d’enfants autistes a été sans faille, marqué par la présidence du conseil scientifique de la Clé pour l’autisme, association de parents créée en 1993, parrainée activement par Simone Veil qui lui a remis en 2010 La Légion d’Honneur. La Clé pour l’autisme a rejoint la fondation John Bost depuis plusieurs années.

Geneviève Haag aimait les liens avec l’Esthétique, elle nous laisse une œuvre riche de découvertes et de nouvelles perspectives de recherches à venir. Comme elle aimait souvent à le dire : « Nous n’avons pas fait le tour de cette question ou de ce problème ». Ainsi elle cherchait toujours à découvrir de nouveaux chemins empruntés par les processus et leurs mises en sens pour penser les intégrations du rythme et de ses fantaisies. Elle a rejoint son mari Michel Haag avec qui son dialogue était incessant.

Hélène Suarez Labat, membre titulaire SPP                                                                                               

►Geneviève Haag : 6 décembre 1933 - 5 juillet 2022

 

Discours de Bernard Golse, prononcé lors de l'enterrement ayant eu lieu le 8 juillet 2022

C’est bien sûr en tant que Président de la CIPPA que je vais dire maintenant quelques mots.

La CIPPA est en deuil et nous sommes tous encore sous le coup de cette disparition si douloureuse de Geneviève, disparition qui nous laisse en quelque sorte hébétés avec un sentiment de vide intense.

* Mais c’est à vous, Geneviève, que je voudrais maintenant m’adresser directement.

Psychiatre, psychanalyste de la SPP, vous avez été, Geneviève, une grande observatrice de bébés et une grande spécialiste des traitements analytiques d’enfants autistes mais, en fait, je n’ai pas envie de faire une description détaillée de votre parcours professionnel.

D’autres s’en chargeront et le feront sans doute mieux que je ne saurais le faire moi-même.

Je voudrais seulement évoquer quelques étapes importantes de ce trajet avant de dire surtout la personne que vous êtes à mes yeux et qui allez tant nous manquer, à tous.

* A l’IME de Champrosay, à l’Institut Claparède, vous avez accompli un travail impressionnant de profondeur, de rigueur et de créativité.

Nous savons tous l’importance qu’ont eue pour vous les travaux de Frances, Tustin, d’Esther Bick et de Donald Meltzer et à quel point vous avez contribué à la diffusion en France de ce courant de pensée post-kleinien, courant de pensée si important pour la psychanalyse de l’enfant.

Vous étiez très proche aussi des travaux de James Gammill et je me souviens encore avec émotion du séminaire que vous avez animé dans mon service à Saint-Vincent de Paul avec lui, avec Didier Houzel ainsi qu’avec Claudine et Pierre Geissmann.

Il est vrai que la psychanalyse des temps précoces de la vie a eu du mal à pénétrer certains milieux psychanalytiques un peu traditionnels, mais il est clair aussi que c’est en grande partie grâce à vous que les choses ont pu progressivement changer…

Je ne sais pas si vous le diriez ainsi mais il me semble que sous un air si doux … vous avez en fait initié une authentique révolution !

C’est ainsi que vous avec activement contribué en 1984 à la création du GERPEN dont vous êtes l’un des membres fondateurs - création souhaitée par James Gammill - et c’est ainsi qu’avec Dominique AMY vous avez fondé la CIPPA en 2004 que j’ai l’honneur et le plaisir de présider aujourd’hui après Dominique Amy elle-même.

Michel, votre mari sans lequel vous avez eu tant de mal à vivre depuis un an, vous a beaucoup aidée à la fondation de cette CIPPA.

L’assemblée constituante de la CIPPA a eu lieu en 2006, mais avant cela, et dès le début (dès 2004), Michel avait travaillé sur les statuts de l’association et c’est lui qui a œuvré à la constitution de tout un réseau de communication autour de la CIPPA.

La CIPPA va avoir à cœur- je le sais et je m’y engage - de maintenir vivant l’esprit de recherche et d’ouverture qui est celui que vous avez voulu pour cette association si particulière et si précieuse d’un point de vue scientifique mais aussi d’un point de vue sociétal afin de garantir aux enfants autistes et à leurs familles une approche véritablement humaine et digne, dans un contexte actuellement si difficile à ce propos.

Avec Michel, tous les deux, vous avez aussi beaucoup fait pour implanter en France l’observation de bébé selon la méthode d’Esther Bick et, avec d’autres collègues enfin, vous avez été à l’origine de l’AFFOBEB (Association Francophone des Formateurs à l’Observation du Bébé) dès ses débuts, soit dans les années 1970-75.

* Mais j’en viens maintenant à vous en tant que personne qui nous avez tous si profondément marqué.

J’ai participé à un groupe d’observation que vous animiez avant de faire moi-même une observation en tant qu’observateur dans un groupe animé par Françoise Jardin et cette formation à l’OD a été décisive pour moi.

Mais l’important n’est pas là.

Quand on était en contact avec vous, il se passait toujours quelque chose de tout à fait spécial.

J’ai dit tout à l’heure que vous étiez une grande observatrice de bébés et une grande spécialiste des traitements analytiques d’enfants autistes, et bien je crois que ce que je veux dire maintenant a quelque chose à voir avec cela.

Quand je vous parlais, de choses importantes ou moins importantes, je sentais que vous m’écoutiez avec une attention et une profondeur d’une intensité incroyable.

Je sais que je ne suis pas le seul à avoir ressenti cela.

Je crois que votre regard nous renvoyait à quelque chose du bébé que nous pensions nous-mêmes avoir été et que votre écoute dédramatisait toujours les craintes que nous pouvions avoir à l’égard de nos propres parties autistiques…

D’où une relation qui nous touchait au plus profond de nous-mêmes, et qui nous parlait à la fois de la vie, des bébés, des autistes et finalement de nous-mêmes.

* Chère Geneviève, je suis heureux d’avoir pu vous aider à publier au Fil rouge des P.U.F. votre ouvrage, Le Moi corporel, en 2018 et celui sur la grille qui porte désormais votre nom qui paraîtra également au « Fil rouge » dans quelques semaines.

Pour ce dernier livre, Géraldine Cerf et Hélène Suarez-Labat vous ont beaucoup aidée et nous leur en sommes tous bien sûr extrêmement reconnaissants.

Mais ce dont je suis tout particulièrement heureux, c’est que vous ayez pu assister, en personne, en mai dernier, à la Journée scientifique de la CIPPA qui était consacrée à la 1ère édition du « Prix Geneviève Haag ».

Vous avez pu voir l’immense affection que nous avions toutes et tous pour vous et je crois que cela vous a véritablement fait plaisir.

Cela nous a fait également très plaisir, ce jour-là, de vous faire plaisir, de vous dire tout ce que nous vous devions, et de vous faire sentir que nous étions tous très conscients de cette dette à votre égard.

Il y a les souvenirs, il y a les photos … je crois que nous n’oublierons jamais ce jour de mai encore si proche.

* Votre œuvre est immense, Geneviève, votre personne est irremplaçable.

37 ans après l’écriture de votre article sur « Le bébé et la mère dans les deux moitiés du corps », nous aimerions tous mettre notre pouce gauche dans le creux de notre main droite, et pouvoir ressentir que nous sommes ensemble avec vous, en présence.

Ce que je sais, en tout cas, c’est que vous serez toujours avec nous de mille et mille manières dans notre tête.

J’espère que vous allez pouvoir désormais vous reposer tranquillement aux côtés de Michel.

Au nom de nous tous, je vous embrasse, Chère Geneviève, très affectueusement et du fond du cœur, une dernière fois et avec une infinie tendresse.

Bernard Golse