L'offre des CMPP en Nouvelle-Aquitaine

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Cahier des charges de l'ARS Nouvelle-Aquitaine : petite pièce de théâtre du docteur Philippe Metello en guise d’introduction à un billet d’humeur ! Un texte plein de verve et de fantaisie qui prend le parti d’un rire féroce qui ne retire rien à la gravité de ces menaces selon le vice-président Cerep-Phymentin.

 

Grâce à l’installation de caméras dans une salle qui accueillait une réunion des directeurs d’ARS, nous sommes en mesure de vous fournir la transcription des échanges qui s’y sont tenus. La partie du débat qui nous intéresse s’est tenu après 12 heures d’intenses discussions. La rencontre a été productive, toutes les structures pédopsychiatriques ont pu être intégrées dans le nouveau dispositif de soin préconisé par le rapport de l’IGAS de 2017. Les directeurs sont fatigués et ont envie de repartir dans leurs régions respectives. Lorsque soudain l’un d’eux évoque une institution qui semble résister à l’envahisseur neuroscientifique.

 

Directeur région 1 : Et on fait quoi avec le truc-là, vous savez, le machin chose, le Centre Médico.... j’sais plus quoi ?

 

Directeur région 2 : Psychologique ? On les a déjà casés, en niveau 2 ceux-là, on va pas y revenir, ils sont fatigants avec leur maudit secteur. Ç’est pas moderne....

 

Directeur région 1 : Mais non pas CMP, y’a encore une lettre après...

 

Directeur région 2 (qui a commencé à googueuliser sur son smartphone CMP...) : Ah oui ! Ça y est ! le « R » : les Centres de Médecine Physique et de Réadaptation... font de la psy eux ?

 

Directeur région 3 (lui aussi les yeux rivés sur son smartphone) : Mais non, c’est un « P », pour pédagogique.

 

Directeur région 1 : C’est ça les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques !

 

Directeur région 4 : Ah oui ! J’ai entendu parler d’eux, des cryptos-néo-baba-gaucho-révolutionnaires, y paraît même que dans le texte qui régit leur fonctionnement... l’annexe 3 et qu’ il y a le mot psychanalyse1.

 

1- Décret n°56-284 du 9 mars 1956 complétant le décret n° 46-1834 du 20 août 1946 modifié fixant les conditions d'autorisation des établissements privés de cure et de prévention pour les soins aux assurés sociaux. Dont l’annexe XXXII : Conditions techniques d'agrément des centres médico-psycho-pédagogiques de cure ambulatoire.

 

Tous les directeurs d’ARS s’agenouillent, les bras écartés en croix, le regard droit fixant un portrait de leur ministre de tutelle accroché au mur, ils entonnent la prière réglementaire que tout directeur ânonne lorsque le mot interdit est prononcé : Vade retro psychanalysa, hors d’ici psychanalyse, de toi nous ne voulons point, le côté obscur de la force tu es, la neurobiologie nous voulons.

 

Directeur région 3 (les yeux toujours rivés sur son smartphone) : Incroyable les gars, je cite l’article 16 : « Lorsque le centre dispense, sous l'autorité et la responsabilité des médecins agréés, aux enfants dont l'état le requiert une psychanalyse, une rééducation psychothérapique, une rééducation de la parole, une rééducation de la psychomotricité, il doit s'assurer le concours d'un personnel compétent ». Y z’avaient peur de rien dans le temps !

 

Directeur région 1 (un sourire aux lèvres, en aparté au directeur région 3) : T’es sûr que ce ne sont pas des Centre Médico-Psycho-Psychanalytiques ? (Puis, plus sérieux, s’adressant à ses 12 collègues) Bon ! Faut leur trouver une place à ces zozos d’un autre âge ! Quand je vous disais que ce sont des marxistes dangereux, l’annexe 32 est signé par le ministre des Affaires sociales de l’époque, Guy Mollet, un dangereux socialiste de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Un prolétaire de la psychanalyse à n’en pas douter.

 

Les 12 directeurs entonnent leur hymne : Ah, ça ira, ça ira, les Psychanalystes à la lanterne !

 

Directeur région 1 (qui tente de calmer ses semblables) : ‘tention les collègues, not’ ministre l’a dit, pas d’exécutions sommaires.

 

Directeur région 7 : L’a bon dos l’patron, avec ses interventions à la radio, lui et ses sbires de l’HAS, ce sont eux qui ont les premiers fait de l’éradication de la psychanalyse une cause nationale, faut dire qu’avec l’épidémie DSMo5-tous autistes, y’a plus d’un électeur sensible à leurs arguments.

 

Directeur région 9 : Faut pas le charger non plus l’patron, ses prédécesseurs avaient déjà bien entamé le mouvement.

 

Directeur région 13 (un innocent, fraîchement nommé et qui avait séché le module « pédopsychiatrie : un archaïsme français, pour une glorification du handicap et de la neurobiologie, enfin débarrassé des psychiatres » à l’école de Rennes) : C’est vrai au fait, pourquoi ils en veulent tant à la psychanalyse, moi par exemple mes parents, des agriculteurs macrobiotiques, y m’avaient emmené voir un psychanalyste, vue que j’mouillais mon lit tous les soirs.

 

Les 12 autres directeurs entourent leur collègue région 10, s’agenouillent, se donnent les mains et entament le processus d’exorcisme réglementaire préconisé par l’HAS : Au nom d’ABA notre Dieu et de TEACH son fils, notre sauveur. Par la CARS, la VINELAND, nos saints protecteurs. Nous implorons votre toute puissance pour faire sortir les Freud, Lacan, Dolto, Winnicott, Klein et autres suppôts de Satan du corps de notre collègue.

 

Le directeur de la région 13 chute, son corps se met à convulser, un liquide blanchâtre s’écoule à la commissure de ses lèvres, on voit s’échapper de ses oreilles de la fumée. La crise est violente, une infirmière entre dans la pièce munie d’une seringue, on maîtrise le directeur pendant que la soignante lui administre la dose de Ritaline recommandée par l’HAS dans le TON : Trouble Oppositionnel aux Neurosciences.

 

Le calme revient, le directeur de la région 13, encore chancelant, regagne son siège.

 

Directeur région 1 : Bon alors, on en finit avec les CMPP, niveau 1,2 ou 3 ?

 

Directeur région 2 : le problème avec eux c’est qu’on n’arrive pas à les ranger dans une seule case.

 

Directeur région 3 (qui consulte toujours l’annexe 32 sur son smartphone) : selon l’article 1 on pourrait dire 2 et 3 : diagnostic et traitement : « Les centres médico-psycho-pédagogiques pratiquent le diagnostic et le traitement des enfants inadaptés mentaux dont l'inadaptation est liée à des troubles neuro-psychiques ou à des troubles du comportement susceptibles d'une thérapeutique médicale, d'une rééducation médico-psychologique ou d'une rééducation psychothérapique ou psycho-pédagogique sous autorité médicale. Le diagnostic et le traitement sont effectués en consultations ambulatoires sans hospitalisation du malade (...). Les soins s'étendent à la postcure ».

 

Directeur région 1 : c’est agaçant ces gens qui ne veulent pas se laisser enfermer dans des cases. Dans un monde d’experts et de spécialistes, que faire de ces généralistes qui ne s’intègrent pas dans notre management du parcours de soin. C’est pourtant simple on ne peut qu’être spécialiste de la prévention, du diagnostic ou du soin, mais y’a aucun spécialiste des trois réunis.

 

Directeur région 2 : Le collègue a raison, les spécialistes du cerveau l’ont dit, l’être humain post-moderne ne peut traiter plus d’un management à la fois.

 

Directeur région 1 : Le cerveau des CMPP aurait-il muté ?

 

Directeur région 2 : Non. J’ai lu dans un article scientifique que leur cerveau était un pur produit post-viennois du début du siècle passé. Un temps révolu, où l’on parlait encore d’individu, de sujet, de corps, d’interactions... C’est notre cerveau, à nous, qui a muté du côté neurodéveloppemental de la force, un cerveau si parfait qu’il a aboli ce dualisme ridicule, arrêtons de penser, soyons un « tout cerveau ».

 

Tous les directeurs applaudissent, l’euphorie les gagne. Soudain un directeur resté muet jusque-là fait entendre sa voix.

 

Directeur région 10 : Chez nous on a trouvé la solution !

 

Les 12 autres directeurs (d’une seule voix) : AHHHHHH !

 

Directeur région 10 : Nous les CMPP on va les « repositionner ». « Eu égard à l’apport des neurosciences dans le champ des troubles du neurodéveloppement (TND), le principe même de l’offre des CMPP en région 10 correspond à une conformité totale des pratiques professionnelles aux recommandations de bonne pratique et guide de l’HAS ». Allez on ne rigole plus « Il est attendu une évolution et un repositionnement de (l’offre des CMPP) vers un fonctionnement en plateforme ressource spécialisée pour la prise en charge de ces enfants (les adolescent de 0 à 20 ans, présentant des TND, mais également des enfants présentant des troubles légers des apprentissages, des troubles du comportement, troubles psycho-affectifs... etc.) en favorisant des interventions en milieu scolaire et garantissant la conformité des interventions aux recommandations des bonnes pratiques de l’HAS ». Bref du niveau 2 et circulez, y’a rien à voir et que ça saute : « Dans un délai de 3 mois après publication du cahier des charges : transmission du plan de mise en conformité à l’ARS » ; « Dans un délai de 9 mois maximum après transmission du plan d’action : effectivité des changements des pratiques professionnelles et conformité au cahier des charges régional ».

Allez, zou, on efface en 12 mois, 64 ans d’existence de l’annexe 32 qui régit le fonctionnement des CMPP. Si c’est pas de l’efficacité managériale !

 

Une énorme ovation éclate dans la salle, le directeur de la région 10 est arraché à sa chaise et porté triomphalement sur les épaules de ses collègues qui font le tour de la table en chantant sur un air bien connu :

 

Go on now, go walk out the door Psychoanalysis
Just turn around now 'cause you're not welcome anymore
Weren't you the one who tried to hurt neurosciences
Did you think I'd crumble, did you think I'd lay down and die
Oh, no, not I, I will survive Psychoanalysis
Oh, as long as I know how to love I know I'll stay alive

I've got all my life to live and I've got all my love to give
And I'll survive, I will survive psychoanalysis
 

 

Allez vas-y, sors d'ici Psychanalyse

Fais demi-tour maintenant car tu n'es plus la bienvenue, à jamais

N'étais-tu pas celle qui a essayé de me faire du mal aux neurosciences

Pensais-tu que je m'effondrerais, pensais-tu que je traînerais par terre et que je mourrais

Oh, non, pas moi, je survivrai à la psychanalyse

Oh, tant que je sais que je sais aimer je sais que je resterai en vie

J'ai toute ma vie à vivre et j'ai tout mon amour à donner

Et je survivrai, je survivrai, à la psychanalyse

 

Il se fait tard, les directeurs se congratulent, rendent un dernier hommage à leur ministre de tutelle et retournent d’un pas joyeux et décidé vers leurs régions, fermement décidés à bouter hors des CMPP toute idée d’approche généraliste et globale de la prise en charge.

 

Le contexte est évidemment fictif, malheureusement les propos du directeur de la région 10, c’est-à-dire de Nouvelle-Aquitaine sont bien réels, tirés d’un cahier des charges diffusé par cette ARS en novembre 2019. Pour ceux qui travaillent dans les CMPP, ce n’est qu’une demi-surprise, nous savions que cette évolution, ou plutôt, comme l’ARS Nouvelle-Aquitaine le dit, ce repositionnement, nous menacerait un jour ou l’autre. On ne peut qu’être d’accord avec les intentions de nos tutelles qui produisent de tels cahiers des charges : « la qualité du service rendu » ; « la place essentielle à la coopération locale » ; « éviter et gérer les ruptures des parcours pour les personnes »... Mais, à la lecture de celui-ci, faut-il comprendre que depuis plus de 60 ans ce ne sont pas des préoccupations quotidiennes des professionnels qui font fonctionner les CMPP ? Nous pourrions le penser. Il y est fait référence au rapport de mission de l’IGAS sur l’évaluation du fonctionnement des CAMPS, CMPP et CMP de septembre 2018, des extraits réducteurs qui donnent une piètre idée de notre travail : dans les CMPP nous contesterions la légitimité des « parents-acteurs » et nous suspecterions les parents de jouer un rôle dans les troubles présentés par leurs enfants. Pire, nous utiliserions des pratiques contestées par les parents et nous ferions obstacles à la transmission d’information. On comprend que, si telle est la représentation de notre travail par nos tutelles, il faille vite « repositionner les CMPP ».

 

Un goût amer persiste après la lecture de ce cahier des charges, quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage. Avec quelle maladresse l’ARS de la Nouvelle-aquitaine se risque-t-elle à cet exercice. À la lecture de certaines préconisations, j’ai l’impression que l’on prend les professionnels qui exercent en CMPP pour de jeunes débutants qui mettent en péril leurs patients par leur inexpérience.

Petit florilège :

  • « En ce qui concerne la prescription de psychotrope, il est recommandé : que toute nouvelle prescription soit précédée, sauf urgence, d’un examen clinique éliminant toute cause somatique ». C’est une des premières choses que l’on nous apprend à la faculté de médecine lorsque l’on aborde la clinique psychiatrique et la prescription de psychotrope. L’ARS Nouvelle-Aquitaine pense-t-elle que les médecins qui exercent en CMPP distribuent les médicaments avec nonchalance, comme on distribuerait des bonbons, au point qu’il faille leur rappeler les bases du métier ?
  • « Dans ce cadre, le projet de service du CMPP doit intégrer les modalités de coopération avec les différents partenaires ; Éducation nationale, acteurs sanitaires et médico-sociaux », je me demande parfois si nos rapports d’activité et nos projets d’établissement sont lus par les tutelles.
  • « Le parcours de l’enfant doit être pensé dans sa globalité et dans un objectif d’inclusion scolaire », c’est un peu comme si l’on écrivait dans le cahier des charges d’un hôpital « l’objectif de l’hôpital est de soigner des personnes malades ».

Il y aurait d’autres exemples. Je pose une question : dans quelle mesure les CMPP de la région Nouvelle-Aquitaine ont-ils été associés à la réflexion qui a abouti à ce cahier des charges ?

 

Les CMPP sont un des piliers de la prise en charge pédopsychiatrique des enfants de 0 à 20 ans en France (et pas que du handicap comme il est répété dans le cahier des charges), il est évident qu’ils doivent s’adapter et répondre aux changements qu’ils soient sociologiques ou liés aux connaissances médico-psychologiques. Mais cette évolution n’a de sens que si elle se fait dans une coopération étroite entre, chercheurs, tutelles et professionnels de terrain. Mais on lit à travers ce cahier des charges une tendance qui s’exprime de plus en plus fortement, celle de limiter les outils théoriques à disposition des professionnels au seul paradigme scientifique neurodéveloppemental, supposé seul détenteur de vérité, à l’exclusion d’une approche psychodynamique fortement ancrée dans la tradition des CMPP. Dans un monde d’experts on pense que seuls les détenteurs de cette supposée vérité ont leur mot à dire et leur place dans le parcours de soin. Donc, dans ce monde d’experts, seules des « plateformes diagnostic » sont légitimes. On élimine toute une richesse acquise grâce aux expériences de terrain et qui témoigneraient de l’importance de garder, dans un dispositif ou existeraient des « centres spécialisés de dépistage/diagnostic », des centres de consultations généralistes au carrefour de la prévention, de l’évaluation et du soin. Des centres qui, grâce à leur position dans le dispositif de soins, ont une vision panoramique et globale de la prise en charge des enfants, en lien avec les autres institutions de soins, éducatives et pédagogiques impliqués auprès des enfants et de leurs familles. En France, depuis l’après-guerre ce sont les CMP et les CMPP qui ont une expérience en la matière, quelle perte de savoir si en « repositionnant les CMPP » on oublie cette histoire et ce qu’elle a apporté à nos connaissances actuelles de l’enfant et de sa famille.

 

Philippe Metello, médecin directeur du CMPP Saint-Michel, février 2020

 

DOSSIER :

 

« En conséquence, la référence unique et imposée à certaines méthodes et aux neurosciences, avec une interdiction d’en utiliser d’autres (et en particulier les thérapies psychodynamiques) s’apparente à un forçage. Comment une ARS pourrait-elle imposer un traitement plutôt qu’un autre quand il s’agit pour les professionnels de travailler au cas par cas en proposant pour chacun la thérapeutique la plus adaptée. » Lire la suite…