VŒUX 2020

Il y a de l’Amour fou dans tout acte psychothérapique individuel ou institutionnel, Amour fou non intrusif qui permet, quand tout va bien, d’aider le patient à passer sans violence ni traumatisme développemental, du sentiment d’être au sentiment d’existence...

En novembre 2018, avec Alain BRACONNIER et Manuelle MISSONNIER, nous avons organisé un colloque « BB-Ados » sur le thème de l’Amour fou.
En choisissant ce thème, nous pensions à la superbe définition qu’en avait donnée André BRETON : « Je m’étais perdu à moi-même et tu es venu(e) me donner de mes nouvelles. », définition qui vaut à la fois pour les bébés dont les assises narcissiques passent inévitablement par le travail psychique de l’autre (« Je ne me suis pas encore trouvé, mais déjà tu viens me donner de mes nouvelles. ») et pour les adolescents qui découvrent le champ de la sexualité adulte.
L’histoire de la (pédo)psychiatrie pouvant sans doute se penser comme l’histoire de la peur de l’autre, l’amour en est alors le strict opposé puisqu’étant à la fois attrait par le même, mais fascination par ce que l’autre nous renvoie de nous-même, et tolérance aussi aux différences et à la culture de l’autre.

Dès lors, si l’Amour fou est lié à la fonction réflexive ou réfléchissante de l’objet, alors il concerne également le soin institutionnel, et c’est ce que je voudrais essayer de faire sentir à l’occasion de cette carte de vœux.

L’équipe - et le cadre qui la contient - valent bien sûr comme des objets de transfert mais aussi comme des points de renvoi ou de rebonds des messages que nos patients les plus archaïques adressent au dehors, à un dehors d’abord indifférencié et préobjectal en quelque sorte.
On pourrait parler ici de demande intransitive qui précède, et de loin, les demandes adressées à des objets précis, qu’il s’agisse de demandes manifestes ou de demandes latentes.
Ce retour, ce rebond vont ainsi pouvoir fonder ou re-fonder le narcissisme et l’identité des patients dont le premier développement s’est vu parfois enlisé à l’aube de leur vie psychique.
L’institution fonctionne de ce fait pour eux comme une sorte de pré-objet spéculaire dont l’Amour fou est alors soignant au sens le plus profond du terme, au sens de la « consolation » décrite par J. HOCHMANN.
Bien sûr, l’amour n’est pas un outil de travail à lui seul, mais il y a de l’Amour fou dans tout acte psychothérapique individuel ou institutionnel, Amour fou non intrusif qui permet, quand tout va bien, d’aider le patient à passer sans violence ni traumatisme développemental, du sentiment d’être au sentiment d’existence.

Tel est le défi que nous pose le « sense of being » winnicottien et je suis heureux de voir à quel point ce défi se trouve aujourd’hui efficacement relevé par le CEREP.
Pour ce faire, il importe que nos équipes se dressent sans relâche contre la pensée unique et l’inculture qui font toujours le lit de l’intolérance, intolérance dont les ravages se font sentir dans les attaques actuellement forcenées contre le soin psychique en son sens le plus noble.
Telle est la mission du CEREP dans ses activités de formation menées par le COPES, mais telle est aussi celle de toutes les équipes soignantes du CEREP dont l’éthique s’enracine fermement, me semble-t-il, dans cette position théorico-clinique.
Soit l’Amour fou comme rempart contre l’intolérance et l’inculture !
Il est comme un phare qui nous éclaire dans la nuit de la barbarie si éloignée de ce que le siècle des Lumières avait pu proposer…

La photographie de l’enfant qui illustre cette newsletter nous pousse ainsi à diverses associations de pensée : le mouvement, le jeu, la vie, la force de vie, les bulles de possibles, le virtuel, le potentiel, l’éphémère (effet-mère ?), la légèreté, la transparence, l’enfance et sa couleur de l’espoir…
Tout ce que les professionnels souhaitent en fait pouvoir transmettre aux parents pour les aider à lutter contre leurs peines, leurs chagrins, leur pessimisme parfois, et leur souffrance souvent qu’il serait infiniment vain de vouloir dénier.
C’est dans cette perspective que j’exprime au CEREP mes vœux pour l’année 2020 dont je suis sûr qu’elle sera extrêmement tonique et créative en nous permettant de défendre nos idées, de continuer à élaborer des projets en dépit d’un contexte plus ou moins… mortifère ! Il ne s’agit pas de prendre les armes, et surtout pas celles des autres, mais de penser, d’écrire, d’être et d’agir en restant nous-mêmes.
Bref, je nous souhaite une année offensive !

À titre d’exemples :
Le travail que nous continuerons à mener pour soutenir l’implication des parents et la finalisation du livret que nous sommes en train d’élaborer avec eux à propos du handicap invisible (troubles psychiques).
La réflexion que nous poursuivrons sur la question de l’insertion sociale et professionnelle et tout le travail qui est mené, avec la nouvelle direction de l’IME, l’insertion, en particulier professionnelle, demeurant un véritable sujet de préoccupation pour nombre de parents dont les enfants sont pris en charge dans nos établissements.
La création de la crèche thérapeutique (« l’Ombrelle ») sur l’ancien site de l’hôpital Broussais, structure devant permettre la prise en charge précocissime selon une approche piklérienne - à l’interface de la prévention et du soin - de très jeunes enfants en risque « d’évitement relationnel » (A. CAREL).
La fondation, enfin, de l’Institut Contemporain de l’Enfance, nouvel espace dédié à l’enseignement, à la formation et à la recherche dans le champ de l’enfance (bébés, enfants et adolescents) en référence à la psychanalyse, la psychopathologie et la pédagogie.

Pour conclure, et pour souhaiter à toutes et à tous - enfants, adolescents, adultes, patients, parents et professionnels - une très belle année 2020, je me permets de citer les propos que Jacques BREL avait tenus sur les ondes d’Europe 1, il y a longtemps déjà, en 1988 :
« Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rêves d’enfants. Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que la mixité et la valeur de chacun sont souvent à découvrir. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille. Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable. »

Bernard Golse, président de l'association Cerep-Phymentin - janvier 2020