L'"équipe" en santé mentale

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La notion d’équipe est essentielle pour comprendre l’organisation des soins et des accompagnements dans le monde de la santé. Elle l’est plus encore dans le champ de la santé mentale, où l’ambiance de travail est un élément à part entière du prendre soin : un article signé Héloïse Haliday, psychologue clinicienne, Docteure en psychopathologie et chercheuse associée au CLIPSYD (Université de Nanterre)

La littérature scientifique sur ce sujet montre que le sentiment de faire équipe procède d’une dynamique riche et complexe, combinant de multiples facteurs qui peuvent aider ou empêcher le fonctionnement collectif, déterminant ainsi pour partie la qualité des soins proposés ainsi que la qualité de vie au travail des personnes qui les prodiguent.

Vous avez dit « équipe » ?

L’apparente diversité des équipes ne doit pas masquer que les caractéristiques des équipes qui fonctionnent et des dispositifs à même de maintenir ce bon fonctionnement font l’objet d’un fort consensus dans la littérature. Plutôt que de définir ce qu’est une équipe, tâche difficile quand l’on sait qu’il existe autant de façons de faire équipe que de structures d’accueil, il est intéressant de s’attarder sur quelques éléments fondamentaux du sentiment de faire équipe et de la capacité de cette équipe à agir collectivement : attention portée aux relations interpersonnelles, à la coopération et à la communication entre les membres, incluant la gestion des conflits, le maintien de la motivation, le management des affects et de la confiance au sein de l’équipe, le partage d’informations et la participation des membres, mais aussi l’anticipation et l’analyse des difficultés et l’évaluation régulière de leur performance et de leur fonctionnement afin d’édifier une stratégie globale reposant sur des objectifs clairs.

Le fonctionnement d’une équipe repose sur une conscience aigüe, chez chacun de ses membres, de l’interdépendance des expertises professionnelles. Elle a donc besoin, pour travailler de façon collaborative – et pour choisir une façon de faire qui lui convienne -, de disposer d’une certaine autonomie et d’un pouvoir décisionnel qui s’exercera en fonction de ses valeurs et de ses objectifs, d’une identité locale façonnée par l’histoire institutionnelle et des modèles que partagent ses membres de ce qu’est un « bon » soin ou un « bon » accompagnement. Une équipe fonctionne mieux lorsque les rôles et responsabilités sont bien répartis sans pour autant que cette répartition soit rigide : ainsi se développent des sentiments de confiance, de respect, de reconnaissance et d’acceptation de l’autre qui permettent à chacun de mettre ses compétences au service de la personne accueillie.

La réussite des accompagnements portés par une équipe pluriprofessionnelle repose donc majoritairement sur la qualité du collectif de travail, qualité qui dépend de fonctionnements relationnels (comprenant la socialisation mais aussi les tensions de pouvoir entre professionnels), processuels (comme le temps et l’espace qui influent sur le travail réalisé, organisationnels (allant du style de direction à la taille de l’hôpital) et contextuels (comprenant les mouvements politiques, économiques et sociaux plus globaux qui peuvent affecter le travail collectif).

Ainsi peut-on affirmer que l’activité d’une équipe n’est efficiente pour l’usager que lorsqu’elle est collaborative, et qu’il est par conséquent important que l’équipe ait le temps et la disponibilité psychique suffisante pour prendre soin d’elle. Cela nous semble d’autant plus important que le fonctionnement par équipes apporte une reconnaissance existentielle aux professionnels, avec des effets bénéfiques repérés dans la littérature scientifique sur la qualité et la sécurité des soins, la réduction des erreurs médicales, la répartition de la charge de travail ou encore la diminution du risque de burnout.

Un savoir psychiatrique déjà ancien sur les équipes « suffisamment bonnes »

Parce que la question des modalités du travail d’équipe en psychiatrie a fait l’objet, dans le monde anglophone, d’apports empiriques et expérimentaux au même rythme qu’en France, la psychiatrie française et anglo-saxonne apporte nous semble-t-il des pistes importantes en la matière. Dès les années 50, plusieurs études américaines avançaient déjà que la sévérité des symptômes observés chez les patients pouvait être une conséquence de conflits et de non-dits dans l’équipe, engendrant des problèmes de communication (Modlin & Faris, 1956; Stanton & Schwartz, 1954), avec pour principale conclusion que les conséquences délétères des tensions dans les équipes sur la prise en charge d’un patient pouvaient être évitées par l’institution de réunions où les conflits seraient discutés. En France, le livre de Denise Rothberg (1968), Les réunions à l’hôpital psychiatrique, et un article princeps de Jean Oury faisant des réunions un pilier de l’arsenal thérapeutique (1966) ont eux aussi marqué leur époque.

Certains facteurs sont par conséquent prédictifs de l’échec à venir d’une pratique collaborative : un manque de temps pour réunir et stimuler la réflexivité des équipes, un manque de formation (initiale ou continue) interprofessionnelle, la persistance de silos professionnels, une grille salariale qui peine à récompenser la collaboration, des liens ténus entre les pratiques collectives et les objectifs individuels ou encore le manque d’attention accordée à l’évaluation et à la communication de ses résultats aux différentes parties prenantes, usagers inclus.

Même si une bonne équipe produit de meilleurs résultats qu’un agrégat d’individus lorsqu’elle nourrit un engagement partagé de ses membres dans le travail et occasionne alors des effets de sagesse collective, certains auteurs préviennent que la simple convergence entre les modèles du soin et de l’accompagnement portés par les professionnels n’implique pas pour autant que ceux-ci sont intrinsèquement bons : une équipe peut collectivement se tromper. Parler de l’équipe au singulier pourrait par ailleurs induire l’idée qu’il existe un seul modèle de travail collectif applicable à tous les contextes de travail et que le travail d’équipe serait une solution universelle aux problèmes de communication. La littérature insiste au contraire sur le fait que ce n’est pas le cas. Si la recherche propose certes des concepts qui semblent garantir un bon fonctionnement des équipes ou sont a minima corrélés avec des améliorations de leur performance, comme les modèles cognitifs partagés, l’auto-gestion, la communication ou le soutien du management, certains auteurs avertissent qu’une promotion inconditionnelle du travail en équipe serait improductive, tant les questions d’équipe ne peuvent être totalement décorrélées de leur contexte d’émergence.

Ces constats et ces pistes justifient, encore aujourd’hui, l’adoption dans le champ de la santé mentale de perspectives organisationnelles informées par des travaux psychiatriques même apparemment « datés », tant ceux-ci sont un réservoir de précieux retours d’expériences et d’outils d’amélioration de l’ambiance. Nous pensons ici tout particulièrement au courant dit de la psychothérapie institutionnelle, dont nous citerons dans une bibliographie indicative quelques ouvrages et articles essentiels.

►Indications :

Les références scientifiques sur lesquelles s’appuie cet article sont listées dans la bibliographie du rapport de la Fédération Hospitalière de France sur la Qualité de vie au travail à l’hôpital datant de 2017, auquel nous avons participé. Celui-ci est intégralement disponible à l'adresse suivante.

Héloïse Haliday pour l'association Cerep-Phymentin, le 9 octobre 2019