Musicothérapie

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Anthony Brault, guitariste et chargé d'enseignement au sein du Master PRES, mention Création Artistique-musicothérapie, à l’université Paris Descartes, nous livre ici les clés d’une spécialité encore peu reconnue en France. Beaucoup de technicité musicale requise du côté thérapeute, certes, mais un univers créatif permettant au patient de faire émerger son psychisme. Ouverture …

Définition

La musicothérapie ? De manière plus précise et je me réfère ici à la définition d’Edith Lecourt, celle de l’AFM (Association Française de Musicothérapie) et de l’Institut de Musicothérapie de Nantes : l’utilisation du son et de la musique sous toutes les formes que l’on puisse trouver, soit dans le cadre d’une relation thérapeutique, mais aussi dans le cadre d’une relation rééducative, psychoéducative. Selon ce cadre, les objectifs ne vont pas être les mêmes. Pour une thérapie, il s’agira de favoriser la structuration psychique. Pour la partie rééducative, on va plus travailler sur le développement des capacités d’apprentissage et pour le psychoéducatif, la finalité sera de tendre vers l’autonomie ou la socialisation.

La musicothérapie s’est créée sur un double postulat : le premier est de dire que le sonore et le musical sont présents dès le monde prénatal. De nombreuses recherches ont été menées sur ce sujet dont celles de Bernard Golse et de musicothérapeutes comme Eduarda Carvalho qui a fait une très belle recherche sur les chansons apprises avec les mamans avant que les bébés ne naissent. Ca alimente quelque chose de la relation mère-enfant à la naissance.

Le deuxième postulat est celui de la groupalité dans la structuration psychique qui est à rapprocher de la groupalité propre à la musique (polyphonie) - que l’on retrouvera dans les textes d’E. Lecourt.

Deux grands domaines

Il y a d’un côté la musicothérapie active où il est question de jeu musical ou sonore et de l’autre ce que l’on appelle la musicothérapie réceptive ou ce que l’on nomme plutôt aujourd’hui l’écoute musicale, dans la mesure où il s’agit d’un processus très actif.

Il y a dans la musicothérapie active deux objets différents : le sonore et la musique.

Le sonore prend sa dimension musicale quand un code s’installe. Ce code-là n’est pas l’outil de notre travail. On ne va d’ailleurs jamais dire à un patient qu’on va faire de la musique ensemble car ça peut induire un code et les patients ne voudraient peut-être pas venir dans la mesure où ils ne sont pas musiciens. On leur parle alors de musicothérapie lors de la première séance en expliquant ce que c’est et comment on va s’intéresser au domaine sonore. On utilise de préférence des instruments qui sont faciles d’accès comme les percussions, le djembé, les bongos, la kalimba, le xylophone etc... de manière à pouvoir produire assez facilement quelque chose afin que le patient ne se sente pas dévalorisé. On pourrait aussi utiliser la guitare ou le piano par exemple mais on observe cependant souvent que la personne va être rapidement en difficulté pour créer car il y a tout de suite cette dimension musicale avec des codes qui rentrent en compte et le patient va dire « Je ne suis pas musicien. »

Il existe par ailleurs différentes techniques avec lesquelles le musicothérapeute va créer quelque chose. On a en effet tous les petits jeux musicaux, vocaux et selon les thérapeutes on s’intéresse plus à la sphère rythmique, mélodique, harmonique, à la question du timbre…

Un jeu créatif et thérapeutique

Cette médiation fait participer, simultanément, ce qui est de l’ordre de l’intime du thérapeute, ce qui est de ses propres mouvements psychiques et puis son propre intérêt. Tout musicothérapeute a été musicien et c’est une partie essentielle de son travail – qu’il soit professionnel ou amateur. C’est avant tout prendre du plaisir avec tout type de son, de musique. Pourquoi notre travail est-il créatif ? Parce qu’en dépit de toutes les pratiques qu’on connaît, il faut apporter à chaque fois une partie de nous-même pour créer un atelier.

Il existe des musicothérapeutes se refusant à jouer. Pour moi, tout l’intérêt réside dans le jeu : on crée de la polyphonie puisqu’on va jouer notre propre ligne mélodique. Edith Lecourt a réussi à démontrer que la structuration psychique se construit autour de la polyphonie comme la musique. En fait, quand elle dit ça, elle se réfère à la théorie analytique de groupe – celle de René Kaës, d’Anzieu, disant que l’individu n’existe pas seul mais en groupe et se structure à travers ce groupe d’appartenance, ou groupe « interne » selon Kaës. En d’autres termes, à l’intérieur de nous-même, on a tout un ensemble de groupes et surtout celui des générations. Edith Lecourt faisait l’hypothèse qu’en musicothérapie c’est la même chose. Quand le patient joue dans un groupe, il projette quelque chose de son groupe interne dans la musique et c’est là-dessus que l’on travaille.

Un bilan préalable

Nous réalisons un premier bilan psycho-musical en trois parties. Il permet une première rencontre avec le patient autour de son monde sonore et musical, de ce que nous appelons son identité sonore et musicale.

Il y a tout d’abord un entretien semi-directif au cours duquel on pose des questions au patient sur ses goûts musicaux, s’il a des souvenirs de ce que ses parents écoutaient…

Il y a ensuite un « test » d’audition d’œuvres où on lui fait écouter une dizaine de musiques. Il y a une œuvre descriptive, une autre qui va susciter de l’angoisse… Le patient exprime ce que ça lui fait d’écouter ces morceaux-là. A partir de là, on fait un bilan avec un psychogramme et une synthèse sur ce qui se joue à l’écoute.

Il y a enfin un test actif où l’on va mettre le patient en situation d’improvisation avec 4 extraits d’œuvres. Il doit improviser sur des musiques rythmiques, mélodiques, harmoniques et polyphoniques.

A partir de là, nous dressons une indication : l’actif peut être trop angoissant auquel cas, on le dirigera vers la musicothérapie réceptive. Grâce à cela, on peut se dire que le groupe est peut-être traumatogène pour lui et lui proposer quelque chose en individuel.

Inversement, on a des patients où le test d’audition d’œuvres ne donne rien et où ils se mettent en difficulté ayant l’impression que c’est un test « scolaire ». Ils essaient de trouver les compositeurs mais n’y arrivent pas parce que leur culture générale leur fait défaut. De fait, on évite de les mettre dans une situation d’écoute potentiellement « traumatique ».

Il arrive aussi que le bilan ne donne pas grand-chose. On conseille alors au patient de choisir une autre médiation plus propice à son fonctionnement psychique.

Ni code, ni esthétisme

Ce bilan, outre l’indication qu’il donne, est aussi une première rencontre qui peut permettre de « désangoisser ». Le patient expérimente d’abord seul avant d’être dans un groupe où il peut y avoir d’autres musiciens. Ce sont d’ailleurs les patients musiciens qui sont gênés la plupart du temps par l’improvisation proposée parce qu’ils ont l’habitude du code musical qui est totalement cassé par la musicothérapie : on ne s’intéresse ni aux notes, ni à la technicité. On ne va même pas s’intéresser au beau de la musique. C’est ça qui est peut-être différent de certaines médiations artistiques qui visent l’esthétique. On peut en revanche parler d’émotion esthétique en résumant ainsi : qu’est-ce qui, à un moment donné dans la relation – qui est en partie une relation esthétique puisqu’artistique – va susciter une émotion ? mais cela n’a rien à voir avec le beau. L’émotion esthétique peut émerger alors que ce qui se passe n’est pas forcément « beau ».

Au cœur de la séance

Tout l’intérêt de la musicothérapie active et plus spécifiquement de la technique de la « communication sonore » (E. Lecourt), c’est l’analyse de la relation entre deux personnes, entre deux sons. On va donc voir dans ces groupes, comment la personne est à l’aise dans la relation ou pas. C’est plus concrètement une méthode d’improvisation libre où l’on demande à un groupe de patients « d’entrer en relation par l’intermédiaire des sons ». A partir de là, ils ont le choix des instruments mais ils peuvent aussi utiliser la voix, les bruits corporels, bref tout ce qui a du sonore autour d’eux et cela pendant environ dix minutes, avec les yeux fermés et cela en fonction des pathologies.

Avec des enfants en bas âge présentant une psychose infantile, on va éviter de leur demander de fermer les yeux parce que cela peut être très angoissant. On enregistre et on discute de ce qu’il s’est passé, on réécoute et on discute.

Il existe aussi d’autres pratiques avec les enfants. On les fait par exemple dessiner pendant la réécoute de l’improvisation. Il y a en outre d’autres méthodes mais qui ont un objectif plus créatif. J’ai par exemple une collègue qui travaille autour des contes musicaux : la finalité est de se raconter autrement à travers les instruments.

La plupart de nos patients n’ont pas forcément accès aux mots ou à la symbolique des mots. Cela concerne un assez grand panel de pathologies : l’autisme, la psychose infantile, d’autres maladies neurodégénératives et puis les pathologies « de la créativité » comme la dépression et les fonctionnements limites où il y a un manque.

Des effets perceptibles

Il y a en musicothérapie parfois quelque chose d’immédiat mais qui n’est pas pour autant thérapeutique. J’ai beaucoup d’amis qui travaillent avec des autistes et qui me disent à quel point dès que ces derniers commencent à produire des sons, à écouter de la musique, il y a quelque chose au niveau physique qui se transforme. Je me souviens aussi d’un patient débutant un Alzheimer dont le visage s’est illuminé suite à une séance. Il n’y a non plus rien de magique. Oui, la musique alimente une sphère et il y a beaucoup de travaux en neuropsychologie, ceux d’Hervé Platel, par exemple, montrant à quel point la musique a des effets sur le cerveau. Et puis il y a surtout tout ce qui se joue au niveau plus émotionnel, sensoriel, au niveau des affects qui surgit grâce d’une part à la musique, qui est en soi un bain d’affects, et d’autre part à la relation transférentielle qui s’établit.  

Rassurer le patient

Lors de notre formation, nous apprenons à nous mettre à chaque fois à la place du patient quand on travaille par exemple sur la relaxation psychomusicale, sur la musicothérapie active, etc... Au départ, on n’est pas forcément à l’aise. C’est une autre communication et une autre sphère sensorielle. Le rôle du musicothérapeute est de rassurer les patients et d’apporter quelque chose de pédagogique en expliquant ce qui est fait.

Evaluer ou pas la musicothérapie ?

Bernard MacNab a créé une grille d’évaluation de la musicalité de l’écoute et de l’expression (GEMEE) pour mesurer les capacités de l’enfant à répondre à des sollicitations sonores.

Il y a, il est vrai, un gros travail d’évaluation à faire en musicothérapie mais en même temps une relation thérapeutique est très dure à évaluer pour ne pas dire pas forcément évaluable. C’est souvent une demande des grandes institutions avec une dimension sans doute économique derrière.

Des secrets à nous livrer ?

Il faut approfondir ses lectures en matière de musicothérapie et surtout éprouver du plaisir à fonctionner, à créer, à jouer, dans cet environnement-là.

Quand on s’occupe de la sphère de l’écoute musicale, il faut surtout avoir une certaine culture. Il est nécessaire de  disposer d’un répertoire assez large et découvrir de nouvelles musiques pour savoir quoi diffuser. Il faut avoir une certaine forme de sensibilité à la musique, c’est en cela qu’il est primordial d’être soi-même musicien.

Des musiques à privilégier ?

Je dirais que non même si certaines recherches tentent de démontrer le contraire. Pour moi, c’est une erreur par rapport à la logique même de ce qu’est une relation thérapeutique. Si un thérapeute arrive avec un ensemble de musique tout fait, il n’apporte rien de lui dans la séance et rien ne se crée. La musique qu’on apporte reflète notre contre-transfert. Elle permet au patient de prendre ça et d’en faire quelque chose avec ses propres mouvements.

Venir avec un ensemble tout fait équivaut à résumer la vie psychique à quelque chose d’expérimental : telle musique crée tel effet et donc crée telle amélioration. D’un point de vue neurologique, c’est peut-être le fonctionnement du cerveau, mais d’un point de vue psychique, c’est plus compliqué. C’est aussi annihiler l’intérêt de la musicothérapie en posant la question de l’utilité du thérapeute.

Une spécialité sur la voix de la professionnalisation ?

Au niveau de l’Etat, si la formation de musicothérapeute est reconnue, pas le métier. Soit on fait certains choix comme moi où je suis une formation de psychologue en plus pour avoir la possibilité d’être sur un statut, soit comme d’autres, on est musicothérapeute et on se retrouve sur un statut potentiellement instable. Peu à peu, les recherches menées ainsi qu’une meilleure connaissance de cette spécialité aboutiront peut-être à la création d’un statut…

Et pour finir, une petite note bibliographique ?

Je conseille vivement les ouvrages d’Edith Lecourt ainsi que de se rendre aux colloques à Nantes, en mars. Ce sont des journées d’études cliniques autour de la musicothérapie où des professionnels, des enseignants viennent avec un cas clinique parler d’une relation avec un patient ou un groupe et en débattre avec les autres.

Bibliographie commentée proposée par Anthony Brault :

  • Benenzon, R. (1977). Manuel de musicothérapie. Toulouse : Privat.

Rolando Benenzon est l’un des pionniers dans le domaine de la musicothérapie. Dans cet ouvrage introductif, il propose sa définition de la musicothérapie et évoque ses concepts tels que par exemple l’ISo (identité sonore). Il propose également des exemples de prises en charge musicothérapeutiques avec, par exemple, des enfants autistes, des personnes atteintes de « déficience mentale » ou encore des malentendants. 

  • Guiraud-Caladou, J.-M. (1983). Musicothérapie, paroles des maux (réflexions critiques). Bruxelles : Van de Velde.

Dans cet ouvrage, Jean-Marie Guiraud-Caladou revient sur son concept de « musicant », concept particulièrement important dans la pratique de la musicothérapie. Il propose également un répertoire de techniques musicothérapeutiques, réceptives et actives, en groupe et en individuel.

  • Kupperschmitt, J. (2000). La musicothérapie en clinique adulte, ou l’expérience active de la musique dans un hôpital psychiatrique. Paris : L’Harmattan.

Dans cet ouvrage, Josette Kupperschmitt rend compte de l’élaboration de sa pensée en ce qui concerne les liens entre musique, psychothérapie, pédagogie, sociologie et psychanalyse. Pour argumenter ses propos, l’auteure propose l’étude de cinq cas cliniques observés en séances de musicothérapie réceptive et active. Dans cet ouvrage nous retrouverons également ses réflexions théorico-cliniques en ce qui concerne le chant. 

  • Lecourt, E. (2010). La musicothérapie. Paris : Eyrolles.

Ouvrage de référence en ce qui concerne l’introduction à la musicothérapie. Edith Lecourt revient dans ce livre sur l’histoire générale de la musicothérapie. L’auteure définit les deux grands champs de la musicothérapie : la « musicothérapie active » et la « musicothérapie réceptive ». Elle esquisse les principales méthodes de musicothérapie (le bilan psycho-musical, des techniques de musicothérapie réceptive, des techniques de musicothérapie active). Elle revient également sur les fondements théoriques en ce qui concerne la musicothérapie, très imprégnés par la théorie psychanalytique. 

Je renvoie les lecteurs musicothérapeutes ou étudiants en musicothérapie à ses autres ouvrages : L’expérience musicale, résonnances psychanalytiques (1994), Le sonore et la figurabilité (2006) ou encore La musicothérapie analytique de groupe (2007).

  • Perrouault, D. (2013). Le soin grâce à la musique. Paris : L’Harmattan

Dans cet ouvrage, Dominique Perrouault évoque et retravaille des concepts clés en musicothérapie, tels que l’ISo (R. Benenzon), l’enveloppe sonore (E. Lecourt), etc... Il synthétise ici aussi l’ensemble de ses travaux sur sa notion de « triangulation en musicothérapie ». Il évoque des éléments théoriques et cliniques relatifs à l’écoute musicale et spécifie le positionnement et la place du musicothérapeute face aux patients au sein d’une institution.   

  • Ogay, S. (1996). Alzheimer – Communiquer grâce à la musicothérapie. Paris : L’Harmattan.

Suzanne Ogay nous propose un ouvrage concernant les liens entre la musicothérapie et la prise en charge des patients atteints d’une maladie d’Alzheimer. L’auteure rend compte de l’utilisation de la communication non verbale, de la voix voire encore de l’improvisation dans cette prise en charge spécifique. Elle développe également sa pensée relative à la relation thérapeutique entre le patient et le musicothérapeute ainsi que sur le cadre musicothérapeutique. Enfin, elle évoque et développe six cas cliniques en musicothérapie.  

  • Verdeau-Paillès, J. (1988). Le bilan psycho-musical et la personnalité. Courlay: Fuzeau.

Dans cet ouvrage, rédigé spécifiquement pour les musicothérapeutes ou les étudiants en musicothérapie, Jacqueline Verdeau-Paillès nous propose sa grande recherche ayant trait au bilan psycho-musical, outil spécifique du musicothérapeute afin qu’il puisse à la fois poser une indication en musicothérapie et à la fois obtenir des informations sur les capacités réceptives et actives du patient avec la musique sous toutes ses formes.

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Revue Française de Musicothérapie

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  • Berruchon, S. (2015). L’apport des neurosciences. Revue Française de Musicothérapie, 35, 2.
  • Gauthier, L. & MacNab, B. (2015). L’apport de l’évaluation en musicothérapie (GEMEE). Revue Française de Musicothérapie, 35, 2.
  • Brault, A., Courcier-Orantin, M., Mañas, A.-M., Wojtysiak, S. (2015). Considérations sur l’éthique professionnelle. Revue Française de Musicothérapie, 35, 2.
  • Carvalho, E. (2015). Chansons adressées à l’enfant à naître. Revue Française de Musicothérapie, 35, 1.
  • Proença Lopes, C. (2014). L’influence de la musique dans la relation transféro-contre-transférentielle avec des enfants psychotiques. Revue Française de Musicothérapie, 34, 2.
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