Comité rédactionnel

29/06/2023

Interview à la Maison Perchée

Un article de Charlène Romano, stagiaire au service communication de l’association Cerep-phymentin.
À la recherche d’un nid : La Maison Perchée

Interview à la Maison Perchée

Ce matin, l’inspiration et mes yeux ne s’éveillent pas en harmonie.

Stagiaire en communication au siège de l’association Cerep-Phymentin, je rédige des articles autour de la santé mentale.

Ordinairement j’écris avec fluidité et assurance, mais ce matin je ne parviens pas à diffuser mon grain de folie sur le papier.

Un sentiment d’impuissance naît face à cette pénurie d’inspiration. Parfois, il suffit de changer de lieu pour faire germer une idée encore timide.

Alors, pourquoi ne pas se rendre dans un café pour nourrir la graine ? Quelques clics et je trouve l’adresse qui tombe à pic : La Maison Perchée. Je me rends au 59 Avenue de la République, au cœur du 11e arrondissement.

Le temps orageux me donne l’envie de marcher sur un rythme musical. Je traverse Paris en plongeant dans l’univers poétique de Nekfeu : « D’où vient ce besoin de vouloir tout cacher ? »

Semblable au cache-folie, nous décidons de camoufler ce qui nous rend vulnérable. En refusant sa fragilité, l’individu se restreint au silence de sa souffrance.

Pourquoi sommes-nous dans l’incapacité d’épancher notre mal-être auprès de nos semblables ? La pluie s’invite à ma réflexion. Dans les rues parisiennes, les passants se réfugient dans les cafés « en attendant que cela passe », dans un mouvement mélancolique assombrissant l’horizon.

Mais, qu’est-ce qu’on vient chercher dans un café – nid dans lequel on se réfugie ? Lumineux, gourmand ou minimaliste, chaque nid est spécifique. L’ambiance du café imprègne les murs, les objets et les clients ; il amène l’individu dans le lieu où il a une raison de déposer son corps et son état d’âme.

En échange, le café s’anime par ses clients : les dandys parisiens, les artistes mélancoliques ou encore les tourtereaux au fond de la pièce. Des conversations langoureuses, tumultueuses ou poétiques se répandent chaque jour autour de ces tables.

Cette surface plane autour de laquelle on peut trouver une chaise, seule et pensive dans un temps suspendu. Un instant protégé de la temporalité universelle, il nous appartient. La Maison Perchée, un café singulier Ma réflexion prend fin lorsque je fais face à une devanture vitrée où pend un néon bleu : « La Maison Perchée ».

En poussant la porte, je me laisse envahir par cette odeur boisée, si singulière. Le café est tout un art. Vient à moi un jeune homme au regard pénétrant. Un café, s’il-vous-plaît.

En m’installant au comptoir, je me remémore un extrait de La Délicatesse de David Foenkinos : « Il lui demanda ce qu’elle voulait boire. Son choix serait déterminant. Il pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m’en vais. On n’avait pas le droit de boire un déca dans ce genre de rendez-vous. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. […] On sent qu’on va passer les dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. ».

Le choix de ma boisson révèlera-t-il une partie de moi-même que j’ignore encore ? Je m’installe derrière le comptoir et remarque une citation de Nietzsche écrite à la craie : « Je considère comme gaspillée toute journée où je n’ai pas dansé ». Empreint d’une vitalité, ce café m’apparaît comme un corps virevoltant au gré du vent.

Levant la tête, je suis surplombée par de multiples figurines. Maxime, co-fondateur du lieu, m’informe qu’elles sont produites par les mains des « canopiens », les adhérents, avec ou sans troubles psychiques. Fixées dans les airs, ces grues en papier ne tiennent que sur un fil – un lien vital.

« Ce n’est qu’en demeurant visibles et tangibles que les choses se mettaient à exister pour nous, sagement situées dans l’espace et le temps, au milieu des autres choses. » Simone de Beauvoir

La Maison Perchée semble constituer ce rattachement à une base commune, autour d’une équipe où « certains n’ont aucun trouble psychique », me dit Maxime.

Une ambition : « garder un équilibre entre les gens concernés et les non-concernés » par la maladie. Ici les canopiens, comme leur entourage, tout le monde se réunit autour d’un panel d’activités, tel que les ateliers artistiques. Les adhérents s’expriment à travers le corps, la plume et le pinceau. Une expressivité créative qui permet l’expression d’un tourment inaudible.

« Je suis tombé malade et j’ai trouvé ça hallucinant de voir que je n’y connaissais rien, on ne m’en avait jamais parlé. Il n’y avait pas d’espace pour les jeunes, alors nous avons créé notre propre solution fondée sur la pair-aidance.

À la base l’idée était de créer un espace où on pourrait échanger entre personnes concernées. Un endroit où c’est pas tes potes, c’est pas ta famille, c’est pas ton médecin, mais ce sont les autres, les gens qui sont aussi malades et qui peuvent te conseiller. »

L’association Cerep-Phymentin et La Maison Perchée ont en commun une volonté de donner à voir l’enjeu de la santé mentale, en partageant des témoignages autour de la vie psychique, parfois douloureuse.

Nous sommes tous concernés, à des degrés divers, même si la société est parfois sourde face à la souffrance. Le petit grain de folie que nous partageons heureusement tous peut un jour venir enrayer l’harmonie du système psychique.

C’est décidé, je retourne à la Maison Perchée dans quelques jours. Je révélerai à Maxime pour qui je travaille. Je souhaitais vivre une immersion en tant que cliente éloignée du milieu du soin, et j’y fus pleinement accueillie.

L’inspiration m’est revenue et je tiens maintenant mon sujet : je parlerai d’un lieu d’humanité, de failles et de luttes pour vivre. Dans quelques jours je quitte Paris pour transporter ma plume vers la côte nantaise.

Le dernier sac est prêt : stylo, carnet, rouge à lèvre et quelques livres qui sont des incontournables pour cet été.

Mesdames, Messieurs, je vous souhaite une belle dégustation littéraire.

♣ Charlène Romano, le 29 juin 2023, pour Cerep-Phymentin

Retrouvez l’article de Charlène accompagné de photos.

  • La Maison Perchée et ses ateliers : 59 avenue de la République – Paris 75011

Horaires : Ouvert à tous du mardi au vendredi de 10h à 12h30 puis ouvert aux canopiens de 14h à 18h. Samedi de 10h à 18h

Son site : https://www.maisonperchee.org/

En 2021, nous avions aussi réalisé une interview de la Maison Perchée.