Comité rédactionnel

22/03/2023

Briser la perfection

Présentée comme un idéal à atteindre, sous une apparence séduisante, la perfection est aussi illusion trompeuse et mortifère. Une fois la plénitude sans défaut accomplie, que resterait-il ? Un sentiment d’achèvement qui nous fige et nous désincarne… tout l’inverse d’un héros vivant et en mouvement.

Briser la perfection

Nous sommes imparfaits. C’est un fait.

Remercions la curiosité de Pandore qui nous a condamnés à un sort terrible : la nature humaine. Mais, dans nos imperfections et nos blessures, devenons Prométhée et désobéissons aux dieux et à la pression qu’ils imposent par ce qu’ils définissent comme la norme.

Sans en prendre systématiquement conscience, nous sommes entourés de représentations illustrant la perfection ou le chemin permettant de l’atteindre. Idéalisé à travers divers domaines – la publicité, la mode, ou encore la mythologie – l’individu se voit devenir l’objet d’une mystification.

« Manger sainement », « Repulper votre peau », « Obtenez un ventre plat ». Une multitude de conseils fuse sur Internet. Une diffusion infinie et un objectif commun : élever l’individu vers un idéal. Le public fait face à une pression normée, plurifactorielle : comment devons-nous être, à quoi devons-nous aspirer et devenir ?

Adolescents et jeunes adultes se sentent impuissants face à cette pression invisible, obligés de répondre à cet idéal véhiculé dans notre société. Mais l’idéal peut-il être réduit à une vision unique ?

« En général les jeunes sont obnubilés par le modèle du Super-héros. »

Penchons-nous sur le mythe du « Super-héros ». Les modèles féminins accomplissent de grands exploits surhumains. Pour ce qui est de la gente masculine, nombreux sont les figures incarnant la force et la virilité. Allant d’Hercule accompagné de ses muscles saillants, jusqu’à la vaillance de Jason, il y a de quoi complexer n’est-ce-pas ?

Mais alors, pouvons-nous nous réapproprier ces mythes ?

Façonnés, telle une structure en argile, les mythes se solidifient pour devenir une structure qui paraît figée. En réalité, il ne suffit que de quelques gouttes pour humidifier la structure initiale et produire une nouvelle création.

Sous une plume féminine, Christa Wolf réinterprète le mythe de Médée. Réduit à une condamnation pour sorcellerie et assassinat de ses enfants, Euripide fixe Médée dans un jugement éternel. Wolf emploie cette matière malléable dans le but de dessiner une nouvelle ligne de perspective : une femme marginalisée dans une société patriarcale. Notons, par ailleurs, que le courage de Jason, son mari, semble s’être fondu dans la matière.

Nous avons le pouvoir d’humidifier cette structure d’argile qui sèche à une vitesse effarante. Créons des mythes où s’opère le dévoilement d’un héros laissant transparaître un relief, jusque-là méconnu. Dans un processus de déstructuration de l’idéal héroïque, le développement du héros s’oriente vers une humanisation. Dans ce sens, l’individu se compare à une figure, non plus inatteignable, mais réaliste. Une nouvelle perception de « l’idéal » où le héros embrasse son humanité.

« C’est un sur-humain inhumain qui leur ressemble et ils peuvent se reconnaître dans leurs blessures. » 

Les blessures. Un sujet sensible. De natures et de profondeurs variées, la blessure marque chaque individu de manière singulière. Apprenant à les cacher, nous assimilons les cicatrices à une preuve de faiblesse. Quelle erreur.

Je délègue ma plume aux mots de Jean Genet : « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi ».

Humilié, brisé, fracturé. Voici mon « Moi », voici ma force. Acceptez-moi comme je suis. Imparfait(e).

♣ Charlène Romano