Déjà parce que depuis ma plus jeune enfance, j’adore lire, regarder Batman, Superman, Wonder Woman, et aussi parce que dès mes premiers pas dans le monde du social, du médico-social et du sanitaire, j’ai eu l’impression de revêtir une cape de super-héroïne.
Que ce soit en tant que soignante, chercheuse et formatrice, je crois que si je n’avais pas ce costume je ne pourrais pas répondre à mes propres exigences de ces métiers de l’accompagnement.
Alors quand en cours, il y a quelques semaines, avec une dizaine d’étudiantes de premières années, j’ai recours au Dixit comme outil de médiation pour faciliter la parole et qu’une étudiante choisit une carte avec une jeune femme portant une cape pour m’expliquer que certes elle sait qu’elle n’est pas une super-héroïne mais que ce qu’elle retient de ces premiers pas sur son terrain de stage, c’est la satisfaction d’accompagner des enfants à grandir, je me dis que cette image de super-héros elle doit symboliser pour beaucoup d’entre nous notre : engagement (Villa, 2018), implication « institutionnelle » (Loureau, 1998) ; implication « professionnelle » (Join Lambert et al., 2014) ; investissement (Golse, 2017).
Il me semble que ces trois notions permettent sur différents registres de mettre en avant comment nous, acteurs du social, du médico-social et du sanitaire nous pouvons exprimer la manière dont les valeurs qui nous portent se transforment en action.
Elles mettent en lumière une des spécificités des métiers du social, du médico-social et du sanitaire, celle de donner de sa personne pour mettre en place une action et pour accompagner ne personne. N’oublions pas qu’à l’émergence du travail social au début du XXe siècle, les qualités qui sont valorisées sont celles de la générosité, l’altruisme et le don de soi (Fablet, 2009), compensant des pratiques nouvelles qui manquent de fondements théoriques et scientifiques.
Si, comme j’ai déjà pu le mentionner dans un billet précèdent, depuis le début du XXe siècle, la société évolue avec une tendance à l’individualisme et à la professionnalisation, faisant évoluer les rôles des professionnels du social, du médico-social et du sanitaire, il me semble que pour beaucoup de ces acteurs le don de soi reste une valeur forte.
Je prendrais comme exemple, un temps accompagnement de 7 étudiantes qui dans le cadre de leur formation doivent mettre en place individuellement au sein de leur structure de stage un projet pédagogique et éducatif pour répondre aux besoins des jeunes enfants. Sur ces 7 étudiantes, 3 d’entre elles ont, comme on pourrait l’exprimer en anglais, “walked the extra miles[1]”.
La première a voulu acheter avec ses propres deniers, les ustensiles nécessaires à l’activité qu’elle voulait mettre en place. La seconde a mobilisé sa famille pour construire un meuble (quand je vous écris construire un meuble, je ne fais pas référence au fait d’acheter et monter un meuble IKEA, non non, mais bien de partir de bois brut pour construire un meuble) nécessaire pour mener à bien son projet de réaménagement de l’espace dans sa structure.
Enfin, la troisième a passé une soirée entière à dessiner à l’aquarelle et à écrire pour produire une œuvre originale et permettre à un enfant d’avoir accès à un livre (parents et professionnels n’en avaient pas trouvé en librairie) qui soit en écho avec ses passions.
Alors, bien sûr la formatrice que je suis, est touchée en plein cœur de voir un tel engagement, une telle implication, un tel investissement qui dépassent les attendus d’un devoir.
Alors, bien sûr la formatrice que je suis est presque émue aux larmes de voir un tel engagement, une telle implication, un tel investissement de futurs professionnels dont la pratique est si fortement tournée vers l’autre, vers celui qu’elle accompagne, même si pour cela, dans le don de soi, il faut pour un temps un peu s’oublier soi-même.
Si je parle en mon nom, je sais que comme ces étudiantes, en tant que formatrice, j’ai cette valeur du don de soi qui me porte au quotidien. J’aime penser que les étudiants qui croisent mon chemin et qui sont en mal-être dans leur apprentissage, seront convaincus à la fin de mes enseignements de la beauté de la recherche, de l’épanouissement qu’ils pourront acquérir par les études.
Au cours de mes recherches, j’ai aussi croisé beaucoup de professionnels qui par le don de soi portaient l’espoir de permettre aux enfants de mieux vivre, de mieux s’épanouir. En tant que soignante, je me souviens de cette volonté que nous avions avec les collègues de permettre aux enfants que nous accompagnions d’aller mieux avec l’idée que nous n’osions pas formuler de vive voix que nous, dans notre structure, nous réussirions là où les autres avaient été en difficulté.
Dans toutes ces situations, formateur/rices, furtur.es profesionnel.les du social, éducateur/rices, soignant.es, nous revêtons souvent notre cape de super-héro.ïnes. Certainement pensons-nous qu’à grand pouvoir, grandes responsabilités (clin d’œil à Spiderman !). Pourtant, parfois j’ai l’impression que nos responsabilités ne cessent de grandir mais que les politiques publiques tendent de plus en plus à amoindrir notre pouvoir. Parfois, je crains pour les professionnels qui tous les jours sont sur le terrain et qui donnent tant d’eux-mêmes avec des moyens qui ont tendance à se réduire.
Parfois, je crains que ces futures professionnelles que je forme, soient en épuisement professionnel au bout de deux, trois terrains.
Cependant, je me souviens de mon expérience de soignante en psychothérapie institutionnelle, des échanges riches avec les collègues à réfléchir, penser, ne pas être d’accord pour faire sens à ce que l’on vivait au quotidien, pour mieux comprendre les enfants que nous accompagnions.
Alors tant que nous aurons des espaces de pensée, je pense que nous pourrons toujours enfiler notre cape de super-héro sans jamais oublier que nous ne sommes que des personnes ordinaires. Moi j’aime me penser comme une « Ironman / Ironwoman » avec cette capacité à transformer ce que je trouve sur mon chemin en quelque chose d’utile pour les autres. Et vous, vous êtes quel super-héro dans votre quotidien ?
[1] Expression qui pourrait se traduire comme n’ayant pas ménagé leur effort, ayant fait plus que ce qui est attendu
Bibliographie
Fablet, D. (2009). Quels modèles de référence pour les travailleurs sociaux ? Empan, 75 (3), 72-79
Golse, B. (2017). Détruire ou effacer l’objet : Les mécanismes autistiques et leur impact transférentiel et contre-transférentiel. La psychiatrie de l’enfant, 2(2), 215-228.
Join-Lambert Hélène, Euillet Séverine et al. 2014. « L’implication des parents dans l’éducation de leur enfant placé. Approches européennes », Revue française de pédagogie, 187, p. 71-80
Loureau, R. (1988). Le journal de recherche. Matériaux d’une théorie de l’implication. Paris : Méridiens Klincksieck
Villa, D. (2018). Travail social : un engagement en acte ? Sociographe, 1(1), 75-84.
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