Corps et médiations thérapeutiques ?
Nous observons que le corps est tout au long de l’existence à l’avant-scène et dans l’ambiance thérapeutique une éponge sensorielle.
C’est pourquoi les médiations thérapeutiques et culturelles sont des outils confirmés par leur large participation à la transformation des processus de ce qui porte la vie par des chemins qui passent par des voies toujours uniques dans un cadre stable et sécure.
Le ressenti par le toucher ou le frôlement de la limite externe du grain de la peau en lien avec la musculature et l’appui sur l’axe de la colonne vertébrale ; l’olfaction, très puissante, toujours dans une plurisensorialité, le goût et ses saveurs, l’audition qui a la particularité de constituer une gamme unique mais invisible et enfin la vue qui offre le regard sont ses camaïeux en liaisons étroites par des flux sensoriels.
Ils touchent par reflets et résonnances, toujours en petites quantités, par des petits détails, une personne.
Comme avec une palette, des réceptacles sensoriels s’activent en impulsant la vitalité et une rencontre créative. Celle-ci fait émerger des motivations à partir de ces expériences, mais aussi un plaisir à les retrouver et les reproduire par des mouvements corporels rythmés qui organisent un tempo, une durée d’investissement. Ce va-et-vient entre soi et soi mais aussi entre soi et l’environnement, avec le support d’expression font naître des vibrations corporelles.
Cependant, il arrive que celles-ci soient parfois imperceptibles comme dans le service de réanimation néonatale quand les bébés sont nés trop prématurément.
Pour les parents, la maman : à quoi se raccrocher pour reprendre espoir, quand l’accouchement a été trop « trash », loin des représentations idéalisées d’un couple vivant un bel accouchement et accueillant leur magnifique bébé ?
Comment ce bébé d’un poids de plume (entre 500 et 1000 g) peut-il faire savoir qu’il reconnaît ses parents et qu’il a besoin d’eux ? Il y a là une urgence psychique à médiatiser un lien possible d’attachement face à une telle déchirure tandis que les parents vivent dans l’immédiateté continue des événements et en état de choc. Il était indispensable de trouver des leviers afin qu’ils se retrouvent.
Le groupe « parler chanter » : une rupture violente des liens et des retrouvailles émotionnelles entre les parents et un bébé ?
Les mots effraient dans ces circonstances, la culpabilité est abyssale et le bébé vulnérable est au centre. Oser le toucher ? Cela risque de l’abîmer. Le porter ? Cela ne veut pas dire être en contact psychique mais c’est probablement possible; si difficile face à tant d’étrangeté et d’incertitudes sur son avenir.
Ce groupe de médiation est mensuel, constitué par binômes. Aller vers les parents et les bébés est une volonté clinique. Ce qui compte à ce moment-là est de trouver un langage poétique qui parle à tous.
C’est un devoir éthique dans ces circonstances. Des albums, des livrets de chants sont proposés aux parents qui les feuillettent puis un refrain, une berceuse sont choisis. Encouragée, c’est plutôt la maman qui ose chanter et …. le résultat est immédiat ! Visible ! Palpable !
C’est incroyable, le bébé augmente sa saturation, sa respiration se rythme, son souffle est plus régulier (confirmé par les écrans de rythme cardiaque et respiratoire) ; le bébé bouge ses doigts ; la maman émerveillée tend le sien et le bébé s’accroche de toute sa main, il se cramponne ; le bout de ses doigts en est blanchi.
La maman poursuit son chant, le cordon vocal est restauré ; les territoires du souffle de chacun s’installent mutuellement dans une meilleure continuité. La perspicacité des mères à ce moment est extraordinaire.
Le ressenti maternel s’ajuste rapidement aux possibilités du bébé par la modulation d’intonations, du rythme ondulant ou la trouvaille d’un fredonnement en lien avec le besoin de maintien de la continuité de la relation qui s’imprime fortement dans le corporel.
Nous pouvons alors dire au revoir en laissant les supports. Je me souviens d’une maman tellement inquiète, si peu sûre que le bébé ne lui en veuille pas qui, une fois notre passage effectué, s’est recouverte avec le cache couveuse tandis que sa voix cristalline nous charmait.
Nous avons aussi créé une bibliothèque en libre accès dans ce service et les fratries s’en servent bien aussi. Ce type de travail nous indique quand agir et quand se retenir dans notre volonté de soutien.
« Garder des cadres vivants » : un conseil ?
Cependant, pour que ces cadres demeurent vifs, les professionnels doivent pouvoir accéder à des formations et groupes d’analyse de leur pratique comme réservoir de créativité et garantie éthique. Actuellement, nous observons des crispations dans des institutions ou collectivités.
Au lieu de se mettre à la portée de l’autre, du différent, du passagèrement vulnérable, des attitudes s’inversent. Il est question de contrôle du patient, de l’expression « gérer la situation », de « cadrer », de « recadrer », de faire entrer dans un tableau de bord d’évaluation binaire, des grilles de conseils techniques figés sur une spécialité, d’un protocole à appliquer associé à un discours truffé de vocabulaire psychologisant.
Se pencher sur les questions de santé ou du plaisir de penser par une créativité non verbale ne peut être ajusté à des logiques de temporalité financières ou administratives. Je garde comme pionnière la vision de la politique artistique et culturelle du ministre Jean Zay. Son audace enthousiaste est un chemin sûr qui porte ses fruits aujourd’hui.
J’y vois aussi une continuité avec D.W Winnicott lorsqu’il nous demande d’accepter l’idée que la prophylaxie est encore plus importante que le traitement des troubles et que cela doit être mieux compris.
Il affirme que « le spécialiste » appauvrit l’intérêt qu’il porte à l’autre en perdant de vue la complexité de ce qui bâtit un humain. Il emploie même le terme « offenser » et assure que ces offenses faites à l’autre ont de l’importance.
Les remarques sans nostalgie du pédopsychiatre Michel Lemay et d’Arno Stern pédagogue en atelier d’expression par la peinture, découvreur de la formulation, doivent être soulignées.
Si l’un évoque une perte de créativité dans le dessin observée depuis 20 ans tandis que l’autre démontre qu’il y a eu un « âge d’or de l’expression picturale » chez l’enfant, les cliniciens expérimentés de l’enfance observent aussi ce fait dans certaines circonstances.
Méditer et remédier
L’ensemble des types d’approches d’espaces de médiations artistiques ou culturelles constitue un système de références, de valeurs et d’assises fort utiles à développer, faire connaître et reconnaître. Elles contribuent à une préoccupation de santé publique, à l’approfondissement de la connaissance du domaine des sciences humaines et au sens de ce qui bâtit une démocratie dans le respect des besoins individuels au sein d’un groupe.
Bibliographie
J-Claude Ameisen et François Arnold. Les couleurs de l’oubli. Editions de l’atelier, septembre 2014
Pierre Fedida. Corps du vide et espace de séance. Editions Fédition, 2013
D.W. Winnicott. Le bébé et sa mère. Editions Payot. 1992
Arno Stern. Le jeu de peindre. Editions Actes sud, 2011
Arno Stern. L’âge d’or de l’expression. Editions Desclée de Brouwer, mars 2014
Laurette Detry. « Fenêtre sur jardin » in Paroles de bébés, 1001 bébés. Editions ERES
Tosquelles. «Table ronde» in L’enfance handicapée. Revue Esprit, n° 11, nov 1965. Editions de Minuit