Le quotidien d’un hôpital de jour pour enfants - Souffrance psychique et soin institutionnel

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Des interviews éclairant le travail et la place de chaque professionnel dans la prise en charge d’enfants. Des récits émaillés de points de vue différents. Des chants polyphoniques sur la souffrance et le soin institutionnel. Entretien avec Jean-Michel Carbunar, psychothérapeute et psychanalyste à l’hôpital de jour EPI pendant 17 ans…

1 - Comment est née votre envie d’écrire un ouvrage à plusieurs mains et quelle adhésion avez-vous rencontrée auprès de vos collègues ? 

C’est assez simple : je quittais l’EPI, quelques mois après le CMPP de Vitry, où j’avais travaillé 26 ans, pour « changer de vie », de rythme, et me recentrer sur ma pratique analytique en libéral, mes formations et supervisions (au Copes, à l’Institut Repères et à l’ETSUP…). Bref je travaillais déjà beaucoup trop ! Je voulais écrire et transmettre une clinique quarantenaire… et actuelle. Alors comme cadeau de départ, et sûrement aussi avec le désir de continuer à être en relation avec mes chers collègues, je leur ai proposé ce projet collectif, à l’occasion de ma fête de sortie. Il y avait des textes publiés ou partagés en interne déjà rédigés, que l’on pouvait reprendre. Et j’étais prêt à accompagner, par interview ou soutien à l’écriture, les plus réticents. L’accrochage a été immédiat et massif, avec l’engagement total des deux directeurs, Olivier Ginoux et Xavier Moya-Plana, l’appui de la médecin fondateure, Martine Agman, et bien vite la bénédiction de Bernard Golse et de Pierre Delion, sans oublier les signes bienveillants que nous adressait Michel Soulé du haut de son petit nuage.

2 - Pourrait-on résumer, pour ceux qui l’ignorent encore, ce qu’est la psychothérapie institutionnelle dans un hôpital de jour ?

Notre livre débute, comme il se doit, sur la valeur suprême de l’accueil, l’accueil de la différence, de la singularité de chacun, « soignants » comme « soignés », pour créer un cadre propice à la circulation de la parole, à l’échange, sur la base d’une nécessaire hétérogénéité. Voilà ce qui constitue l’ambiance propre au débat justement conflictuel, quand chacun peut prendre position, à partir de son engagement, dans une pratique de transfert à plusieurs, où ne se confondent pas statut, fonction et rôle. Le Collectif se fonde alors dans l’association des dires qui peut permettre l’émergence d’un nouveau sujet. Résumer est une gageure ! Je conseille donc de lire le livre et puis aussi d’aller faire un tour au Copes découvrir l’excellente formation animée par Xavier Moya-Plana et moi-même : « La psychothérapie institutionnelle pour les enfants… et ceux qui les accompagnent » !

3 - Et la psychanalyse dans tout ceci ? Une vieillerie dépassée ou un soin particulier qui a fait ses preuves ?

J’aime beaucoup « ses preuves » !

La pratique vivante de la psychanalyse en institution d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’application d’une cure type standardisé qui ne convient pas au plus grand monde et sûrement pas aux enfants, pas à ceux que nous accueillons et pas aux psychanalystes eux-mêmes ! Nous défendons déjà que la cure institutionnelle est une psychanalyse à plusieurs, puisque tous nous sommes pris et mis au travail dans des liens de transfert pluriel. Dans l’ensemble des soins psychiques que nous proposons, tous orientés, de par l’hypothèse de l’inconscient, par la psychanalyse, il y a un soin particulier que nous appelons soin psychique psychanalytique. Il se pratique dans la rencontre trihebdomadaire entre un psychanalyste et un enfant et se poursuit et s’articule dans l’échange avec le travail des autres collègues et partenaires, et l’accueil de sa famille. C’est une pratique soutenue d’invention, de création d’événements subjectifs que nous construisons ensemble et qui produit des résultats visibles. Ils deviennent, pour la grande majorité, plus épanouis, plus curieux du monde, plus beaux aussi et plus joyeux. Voilà qui fait preuve au-delà d’une normalité ou une adaptation, certes visées également : nombreux sortent de leur mutisme et de leur retrait, rentrent dans les apprentissages, développent des relations amicales et amoureuses, accèdent à une autonomie certaine, en ayant un métier, un logement, voire fondent une famille. Bref réalisent peu ou prou le vœu de réussite de la psychanalyse que Freud nous indiquait : « pouvoir aimer et travailler » ! J’ajouterai, au risque d’une critique bienvenue sur l’éternisation du transfert, que cette rencontre psychanalytique peut se poursuivre des années encore, dans le cadre du service de suite où quasiment tous demandent, avec l’appui de leurs parents, à continuer à rencontrer leur psychanalyste, et même ensuite pour beaucoup, après leurs vingt ans. Nous, je me permets d’y inclure ma chère collègue Géraldine Cerf, ne sommes pas peu « fiers » de les accompagner et de témoigner de leurs parcours.

4 - Votre ouvrage collectif est-il le récit propre à l’EPI ou raconte-t-il le quotidien de tous les établissements de ce type ?

J’espère qu’il peut évoquer la clinique de beaucoup d’autres lieux thérapeutiques, qui auront ensuite envie, eux-aussi, d’écrire et transmettre leurs expériences. J’ai travaillé, au début de ma carrière, comme éducateur dans deux hôpitaux de jour, puis comme psychologue institutionnel dans deux IMP et un IMPRO, j’ai fondé avec d’autres un Sessad. Tous se réclamaient de la psychanalyse, mais la psychanalyse est plurielle et à réinventer à chaque rencontre. L’Epi s’est beaucoup transformé avec ce que l’arrivée de nouveaux professionnels, de nouveaux enfants et familles a permis de déplacer, de déranger. Et j’espère bien que déjà le quotidien décrit et réfléchi dans ce livre, dont l’écriture remonte à trois ans au moins, n’est plus le même et qu’il y aurait bien d’autres choses à raconter, de nouvelles histoires à proposer, ne serait-ce que l’expérience toute récente du soin institutionnel au temps du confinement

5 - Ce livre s’adresse-t-il exclusivement aux professionnels du secteur ou peut-il intéresser des parents comme de jeunes stagiaires de différentes disciplines ?

 « Je n’enseigne point, je raconte » disait Montaigne, quand il inscrivait au fronton : « Rien d’humain ne m’est étranger ». De même, il ne faut pas voir de démonstration dans ce partage de l’expérience singulière d’une équipe d’hôpital de jour, mais un récit actuel et vivant de l’accueil et du soin. Ce qui fait donc l’intérêt du livre c’est qu’il est écrit à plusieurs voix, à plusieurs styles, sans souci d’homogénéisation, sans vouloir faire modèle. La spontanéité, la vérité de l’engagement clinique de chacun, la dynamique de toute une équipe, doivent pouvoir toucher le plus grand nombre.

6 - Et pour clore maintenant cet entretien, cette publication a-t-elle fait germer en vous d’autres projets ?

Avec Christine Mercier-Chanvin, avec laquelle je continue de former (au Copes !) et superviser, nous sommes en train d’écrire un livre sur notre pratique originale du psychodrame psychanalytique. Il y avait aussi un projet de former de jeunes psychanalystes chinois au psychodrame qui s’est momentanément interrompu avec l’actualité pandémique, mais qui sera peut-être relancé dans les mois prochains.

Jean-Michel Carbunar, avril 2020

 

L’association Cerep-Phymentin a d’ores-et-déjà commandé 200 exemplaires de ce très beau livre afin de pouvoir l'offrir à chacun de ses salariés. Pour les lecteurs externes à notre association, voici comment se  procurer l'ouvrage.