Autisme : quelle vision sur 5 ans ?

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Édouard Philippe a dévoilé, le 6 avril 2018, au musée d’Histoire naturelle, le 4e plan autisme en présence des ministres du handicap, de la recherche, de la santé et de l'Éducation nationale. Plus qu’un plan sur 5 ans, il s’agirait bien davantage d’une stratégie reposant sur 5 axes majeurs : la science, l'intervention précoce, l'école, les adultes, les familles. Une seule chose certaine : un budget de 340 millions d’euros.

 

Discours officiel, prononcé le 6 avril 2018

 

 Seul le prononcé fait foi

Monsieur le ministre de l’Education Nationale,

Madame la ministre de la Santé et des solidarités,

Madame la ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur,

Madame la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées,

Mesdames et Messieurs,

Il y a quelques mois, j’ai entendu à la télévision la maman d’un enfant autiste qui disait que « la fatalité, ça n’est pas d’être autiste, c’est de naître avec un autisme en France ». Ce constat, vous vous doutez qu’il me consterne. Mais il faut le regarder en face et prendre les mesures pour y remédier. C’est ce qui nous rassemble aujourd’hui.

Avant de recevoir vos courriers, avant d’entendre vos témoignages, je dois reconnaître que je connaissais mal l’autisme – comme beaucoup de Français malheureusement. Je n’avais pas mesuré qu’emmener son enfant autiste chez le dentiste, partir en vacances, tout ce qui forge le quotidien des parents devient synonyme d’angoisse et souvent d’échec. Certains parents évoquent même leurs difficultés à obtenir une carte d’identité dont la photo soit conforme aux normes nationales (parce que leur enfant bouge trop, ne regarde pas assez fixement l’objectif: cet exemple symbolise à lui seul l’exclusion de la République, la négation d’identité que les personnes autistes subissent aujourd’hui, en France.

C’est donc pour amorcer des changements majeurs pour les personnes autistes que le Président de la République a ouvert en juillet dernier une vaste concertation. Cette concertation, nous avons voulu qu’elle soit « ascendante », qu’elle émane des familles, des acteurs professionnels, de tous ceux qui inventent des solutions nouvelles, au plus près des attentes réelles. Et je tenais d’ailleurs à vous remercier, sincèrement, pour votre aide et le temps que vous avez consacré à construire cette stratégie.

La France a accumulé un retard significatif en matière de repérage, de diagnostic, d’accompagnement et d’inclusion des personnes autistes. C’est ce qui explique le décalage entre les besoins des personnes autistes, la connaissance pratique des familles, et les réponses

apportées par l’Etat. Le 3ème plan autisme proposait des mesures nécessaires mais beaucoup d’entre vous n’en ont pas encore vu les bénéfices dans leur vie quotidienne : nous revenions sans doute de trop loin pour que ce plan suffise à infléchir la situation.

Après 9 mois intenses de concertation, nous lançons aujourd’hui la « stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement ».

Il s’agit bien d’une « stratégie » et pas seulement d’un plan, car nous avons besoin d’une vision et d’une action interministérielle forte et pérenne, qui s’expriment dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, du travail, et bien sûr de la recherche.

J’ai parlé des troubles du neuro-développement, parce que l’autisme en est un. Et ces troubles – la déficience intellectuelle, les « dys », l’hyperactivité – touchent parfois les mêmes personnes et nécessitent une approche globale, notamment en matière de recherche et de repérage précoce. Il ne s’agit pas de diluer les financements, comme le redoutent certains, mais d’apporter des réponses qui s’inscrivent dans un périmètre cohérent et qui pourront bénéficier au plus grand nombre.

Notre action doit tout d’abord reposer sur des connaissances scientifiques solides.

Nous savons aujourd’hui que plusieurs gènes sont impliqués dans l’autisme. Mais comment interagissent-ils avec les facteurs environnementaux ? Quel est leur impact ? Nous avons beaucoup progressé ces dernières années, mais il nous faut mieux comprendre encore les causes de l’autisme pour développer des réponses adaptées.

Nous avons la chance d’avoir en France des chercheurs reconnus sur le plan international. Il faut bien sûr financer de nouveaux projets. Mais il s’agit aussi de structurer toute une communauté de recherche sur l’autisme et les troubles du neuro-développement : nous créerons – Frédérique VIDAL y reviendra – un groupement de coopération scientifique et trois centres d’excellence, renforcés par des chefs de clinique hospitalo-universitaires.

Nous allons ainsi accélérer la production scientifique. Ces connaissances nouvelles n’ont pas vocation à rester dans les laboratoires : elles devront bénéficier au plus vite et de manière concrète aux personnes autistes, en créant un continuum entre la recherche, l’expertise clinique et la formation universitaire.

Plus généralement, l’ambition de ce Gouvernement est de remettre la science au coeur de notre action pour l’autisme. Nous devons en finir avec l’océan de méconnaissance ou de représentations erronées qui excluent quotidiennement les personnes autistes et leurs proches. Nous devons bannir tout discours, toute pratique qui ne respecterait pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé et investir pour cela massivement dans la formation des professionnels intervenant auprès des personnes autistes.

Notre deuxième engagement, c’est d’intervenir le plus précocement possible auprès des enfants

Les témoignages concordent : on ne prend pas suffisamment au sérieux les parents qui disent très simplement que leur enfant ne grandit pas bien. Certaines mères s’entendent dire : « vous savez Madame, c’est normal, les mamans sont toujours inquiètes », ou, pire : « vous êtes une maman anxieuse, non ? ».

Le fait est que nous intervenons beaucoup trop tardivement en France : les intuitions des parents sont minimisées, les enfants sont tardivement repérés et ils doivent ensuite attendre plus d’un an pour obtenir un diagnostic. 45% des bilans concernent ainsi des enfants qui ont entre 6 et 16 ans, quand les premiers signes de retard de développement sont parfois détectables chez les tout petits. Cette mauvaise organisation, dont nous portons la responsabilité, fait perdre des mois précieux à l’enfant.

Nous pouvons, nous devons changer la donne. Il y a un consensus international pour reconnaître le rôle des interventions précoces dans la réduction significative du handicap. Il est donc temps de nous conformer aux recommandations de bonnes pratiques professionnelles de la Haute Autorité de Santé :

- Premièrement, nous devons mieux repérer les signaux d’alerte. Nous allons faire un effort majeur de formation et de sensibilisation auprès des professionnels de la petite enfance, de la crèche à l’école maternelle.

- Deuxièmement, les médecins généralistes et les pédiatres doivent pouvoir confirmer le retard de développement. Les visites obligatoires du 9ème et du 24ème mois intègreront plus efficacement l’exploration de la communication au même titre que la motricité et le langage. Les nouveaux modèles du carnet de santé et des certificats de santé sont entrés en vigueur le 1er avril 2018.

Cette « 1ère ligne » sera donc mieux formée et responsabilisée, comme une tour de contrôle qui pourra enfin jouer son rôle de détection des tout premiers signes d’alerte.

- Troisièmement, les professionnels de la rééducation de l’enfant devront prendre le relais dans les plus brefs délais.

Mais ces spécialistes aujourd’hui, comment les trouver quand vous êtes parent et quand personne ne vous oriente ? Comment savoir à quelle porte frapper ? Comment financer des séances extrêmement coûteuses, qui ne sont pas remboursées par la sécurité sociale ? Les parents s’épuisent et se ruinent.

Avec Agnès BUZYN, nous allons mettre en place dans chaque territoire une plateforme d’orientation et de coordination qui pourra prescrire et organiser un parcours faisant intervenir différents professionnels libéraux – neuropsychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes – formés et labellisés.

Cette mesure ne jouera pleinement son rôle que si les familles sont aidées financièrement. Nous créons donc un forfait « intervention précoce » pour que les familles, avant les ouvertures de droits auprès des MDPH, n’aient plus à payer de leur poche ces interventions qui les mettent dans des situations financières critiques, surtout lorsque l’un des parents se trouve contraint d’abandonner son travail pour s’occuper de son enfant – et c’est très souvent le cas.

Ces enfants – qui auront été diagnostiqués tôt – pourront tous entrer en maternelle. Car je le rappelle, l’obligation de scolarisation sera abaissée à 3 ans dès la rentrée 2019, et concernera tous les enfants de la République. Nous accompagnerons cette scolarisation des petits en faisant intervenir en classe des équipes médico-sociales ou libérales, en soutien aux équipes pédagogiques. Et nous triplerons en 5 ans le nombre « d’unités d’enseignement en maternelle » afin de scolariser même les enfants présentant les troubles les plus sévères.

Les enfants pourront suivre un parcours scolaire personnalisé, le plus possible adapté à leurs besoins, de l’école élémentaire au lycée, via un renforcement des différents dispositifs d’inclusion scolaire. Les enseignants seront également formés et accompagnés, directement en classe, par des professeurs « ressources » spécialisés sur l’autisme. Un très gros effort va être effectué, que Jean-Michel BLANQUER précisera, car nous devons rattraper un retard qui pénalise durablement l’inclusion sociale et professionnelle des personnes autistes.

Notre action doit également soutenir la pleine citoyenneté des adultes autistes.

Si vous vous battez jour et nuit, c’est pour que votre enfant, votre proche soit un jour un adulte heureux. Et si nous privilégions l’intervention précoce, c’est précisément pour qu’un enfant diagnostiqué le plus tôt possible devienne un adulte autonome, épanoui.

Aujourd’hui, nous sommes face à une obligation éthique, à une responsabilité collective car le lieu de vie des adultes autistes, au XXIe siècle, ne peut pas être l’hôpital. La première mesure qui s’impose, c’est donc de lancer un vaste plan repérage des adultes dont l’autisme n’a jamais été diagnostiqué, notamment ceux qui se trouvent dans les établissements médico-sociaux, sociaux ou de santé : l’absence de diagnostic est une source de souffrance indicible et souvent de précarisation, qui peut entraîner une spirale de désinsertion.

A chacun de ces adultes autistes, nous devons proposer une réponse adaptée.

– Certains adultes nécessitent un accompagnement 24h sur 24. Longtemps oubliés, longtemps tenus à l’écart de la société, ils méritent aujourd’hui un investissement particulier.

– D’autres ont la possibilité de mener une vie plus autonome. Et plus nous serons efficaces dans le diagnostic précoce et la scolarisation, plus ils seront nombreux. Nous développerons pour eux des solutions inclusives : l’accès et le maintien dans le logement social seront facilités, notamment par l’ouverture aux personnes autistes – dans le cadre du Projet de loi ELAN – des colocations sociales.

Nous voulons aussi faciliter l’emploi des adultes autistes en milieu ordinaire. Contrairement aux idées reçues, beaucoup d’adultes autistes sont parfaitement capables de travailler, quand leur différence est reconnue, acceptée et valorisée. Quelques expériences pionnières montrent que les personnes autistes apportent, dans le monde de l’entreprise, une valeur ajoutée dont il est absurde de se priver. Je pense à ANDROS, dont une usine agroalimentaire accueille, en Eure-et-Loire, 12 travailleurs autistes. Je pense aussi à AUTICONSULT qui a recruté 110 consultants autistes, en CDI, qui les coache et qui les missionne auprès de très gros clients comme la SNCF, EDF, Allianz. Il faut libérer le potentiel professionnel et créatif des personnes autistes, tout en sensibilisant ceux qui travaillent à leurs côtés. Nous doublerons donc pour les adultes autistes les dispositifs « d’emploi accompagné », qui offrent un aide médico-sociale et un soutien à l’insertion professionnelle en milieu de travail ordinaire.

Je terminerai avec un axe essentiel de cette nouvelle stratégie, qui est d’aider les aidants et de les associer plus étroitement à la gouvernance de notre politique publique.

Les familles se démènent pour communiquer avec leur proche autiste mais aussi avec l’administration, le personnel médical et enseignant, en un mot pour communiquer avec tout le reste de la société. Le don de soi des parents s’accompagne souvent d’une forme d’assignation à résidence et de marginalisation, comme le résume cette maman qui évoquait son renoncement à toute vie propre : « C’était lui ou moi ; j’ai décidé que ça serait lui ». La conséquence, c’est que les mères et les pères s’épuisent, tout en redoutant qu’un jour, s’il leur arrive quelque chose, leur enfant autiste devenu adulte soit livré à lui-même.

Alors aider les aidants, c’est une priorité. J’évoquerai simplement deux mesures :

- La création d’une plateforme de répit par département offrant des solutions temporaires de garde pour les enfants ou d’hébergement pour les adultes autistes ;

- La reconnaissance de l’expertise des aidants. Les parents ont souvent de l’avance sur les institutions et sur les pratiques. Nous devons nous appuyer sur leurs connaissances et leur savoir-faire.

Nous prévoirons ainsi, dans les organes de gouvernance et de suivi de cette nouvelle stratégie, la participation effective des personnes autistes, de leurs familles et des associations qui les représentent, notamment par la mise en oeuvre d’un conseil national, à vocation consultative, qui suivra la mise en oeuvre de la stratégie.

Pour conclure, j’aimerais vous dire que cette stratégie représente un investissement inédit en faveur de l’autisme. Plus de 340 M€ - soit 60% de plus que le précédent plan - seront consacrés aux 100 mesures concrètes que nous allons mettre en oeuvre. Je n’ai cité que les principales, en oubliant notamment l’aide sociale à l’enfance, les soins somatiques, l’accès aux études supérieures ou la mise en conformité des établissements. Et l’investissement n’est pas seulement financier. Nous nommerons un délégué interministériel, directement auprès de la Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, et une équipe projet pour conduire la mise en oeuvre de notre stratégie. Je crois que la présence de nombreux ministres aujourd’hui témoigne de la volonté réelle de ce Gouvernement de changer la donne.

Pour que les personnes autistes s’affranchissent de la stigmatisation et de la relégation sociale, de cette « fatalité » que j’évoquais il y a quelques instants, c’est à nous de bâtir une société inclusive. Cette société inclusive qui est le grand projet de Sophie CLUZEL, et de tout le Gouvernement à ses côtés. Nous la bâtirons en ouvrant grand les portes de la République, en donnant aux personnes autistes la place qui est la leur dans notre société, une place égale à celle de chaque citoyen. Mon ambition est que les personnes autistes soient acceptées dans leurs différences et qu’elles soient reconnues pour leurs compétences. Agir pour les personnes autistes, c’est conduire un combat pour une vie plus juste, c’est un combat républicain.

J’en appelle en réalité à un sursaut. A un de ces sursauts que nous avons su impulser dans notre histoire : pour les personnes handicapées avec les lois de 1975 et de 2005. Avec le Plan cancer au début des années 2000. Ce sursaut national, il est maintenant arrivé pour l’autisme.

Je vous remercie.

  • source : service de communication de l'Hôtel Matignon