Numérique et handicap

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Interview de Patrice Renaud, chargé de mission handicap et numérique au sein de la direction du numérique pour l’éducation au ministère de l’Éducation nationale.

L’Éducation nationale mène une politique de soutien en faveur des ressources numériques. Mais quels sont les projets soutenus et pourquoi ont-ils été retenus ?

La direction du numérique pour l’Éducation (DNE) mène une politique très active de développement et de diffusion de ressources numériques pour l’École (RNE). Cette politique prend vie au travers d’appels à projets en e-éducation et d’appels d’offres notamment dans le cadre du Plan numérique mais aussi grâce à la Commission multimédia. Le numérique est omniprésent dans les sphères professionnelles comme privées et pourrait rapidement conduire à un risque de fracture numérique si les élèves n’étaient pas formés au numérique dès l’école. C’est l’ambition du plan numérique en cours qui vise à faire rentrer l'école dans l'ère numérique en développant un écosystème global de l'e-Éducation, depuis les contenus et services jusqu'au matériel. Le numérique est pensé comme un facteur de réduction des inégalités et cherche à avoir une école plus efficace, plus juste et plus inclusive. Ce plan s’articule autour de 4 axes :
- formation exceptionnelle des enseignants ;
- production de ressources pédagogiques ;
- apprentissage du code : codage et robotique ;
- des tablettes ou des ordinateurs pour tous les collégiens en 3 ans : 100 % des collégiens et enseignants dotés d’ordinateurs portables ou de tablettes et de ressources pédagogiques numériques d'ici à 2018. Ainsi, à la rentrée 2016, plus de 1 256 écoles et plus de 1 510 collèges seront équipés en ordinateurs portables ou tablettes. C’est donc près d’un quart des collèges qui rejoignent le plan numérique.


Si le numérique est pour tous les élèves un outil pédagogique supplémentaire, il se révèle indispensable pour les élèves en situation de handicap :

- cet outil leur permet de faire : c’est le cas des outils de compensation pour les élèves en situation de handicap moteur (capteurs par exemple) ;
- il leur permet de faire plus vite ou mieux : par exemple les élèves porteurs de troubles spécifiques du langage et des apprentissages ont une surcharge cognitive allégée quand les textes présentés sous forme numérique ont une présentation adaptée.
- le numérique permet de faire autrement pour des élèves présentant des troubles visuels, des troubles auditifs, des troubles envahissants du développement… ;
Alors que les élèves en situation de handicap étaient bien souvent les seuls à être équipés d’un ordinateur dans la classe (matériel fourni par le ministère de l’Éducation nationale sur notification des Maisons départementales des personnes handicapées), et donc plus ou moins stigmatisés, le Plan numérique, en équipant progressivement tous les élèves, change profondément la donne.


Cependant il faut que les élèves à besoins éducatifs particuliers puissent bénéficier de documents adaptés et que le droit d’auteur n’interdise justement pas d’adapter les documents dont disposent les autres élèves. C’est l’objet des travaux menés avec le ministère de la Culture et de la Communication depuis 2013 sur l’extension de l’exception handicap au droit d’auteur à toutes les personnes empêchées de lire (Loi Création, Architecture, Patrimoine). Cette évolution législative a été articulée avec la publication par le ministère de l’Éducation de « bonnes pratiques d’accessibilité et d’adaptabilité des ressources numériques pour l’École (A2RNE) » pour inciter les auteurs, les éditeurs, les professionnels des chaînes de production à créer des ressources déjà accessibles. Ces acteurs ont été associés à l’élaboration de ce référentiel tout comme les associations qui représentent les personnes en situation de handicap. Le ministère est particulièrement vigilant à ce que les ressources financées dans le cadre des appels à projets ou des appels d’offres respectent ces bonnes pratiques. Enfin il faut aussi s’assurer de l’accessibilité du matériel proposé aux élèves handicapés et des infrastructures auxquelles ils se connectent. C’est l’objet à la fois du Cadre de référence pour l'Accès aux Ressources pédagogiques via un équipement Mobile (CARMO) et du Schéma directeur des espaces numériques de travail (SDET).
Les projets soutenus, pour être retenus, doivent prouver leur caractère innovant, leur intérêt pédagogique et le fait qu’ils respectent les programmes officiels et les exigences d’accessibilité. Plus que des contraintes, ces obligations d’accessibilité permettent d’ailleurs un accès facilité à tous les élèves et pas seulement aux élèves en situation de handicap.

Quelle est la nature du soutien apporté et quels sont les interlocuteurs susceptibles d’aider au développement d’une production ?

Concernant les ressources numériques adaptées (RNA), plus spécifiquement destinées à répondre aux besoins éducatifs particuliers des élèves en situation de handicap, le bon guichet est très certainement la Commission multimédia. Depuis de nombreuses années, elle accompagne les porteurs de projets et subventionne jusqu’à 50 % du coût pour des modèles économiques qui restent libres. Des partenariats sont fréquemment noués avec CANOPE ou l’INS HEA.
Pour chaque projet, le soumissionnaire doit s’assurer des précieux conseils d’un Comité scientifique et tenir compte de ses remarques au cours du développement de la ressource qui doit en outre être testée auprès d’élèves.

Les contraintes techniques sont-elles nombreuses et quel est le délai moyen pour la réalisation d’un support numérique dans ce cadre précis ?

Outre les contraintes d’accessibilité évoquées précédemment, il est indispensable que les ressources tournent sur différents systèmes d’exploitation, fixes et mobiles, et sous plusieurs navigateurs pour des ressources en ligne. Il faut aussi que différents matériels soient supportés (ordinateurs portables, tablettes de différentes tailles, matériels hybrides) puisqu’on ne peut connaître à l’avance l’équipement dont disposent les élèves, les équipements étant cofinancés par l’État et par les collectivités territoriales.
Le ministère demande aussi que les élèves n’aient pas à s’identifier avec des mots de passe propres à chacune des ressources mais que cet accès se fasse par les Espaces numériques de travail (ENT) et dans le cadre technique du Gestionnaire d’accès aux ressources (Fédération GAR).
Enfin les données concernant les élèves étant par nature sensibles, il faut que les porteurs de projet respectent le cadre de confiance et les préconisations de la CNIL. Ceci est encore plus important si les élèves sont porteurs d’un handicap.
Toutes ces considérations pédagogiques, scientifiques et techniques portent le délai moyen de réalisation d’une Ressource numérique pour l’école à une année environ. Comme l’environnement technologique évolue très vite, il est exigé que la ressource fonctionne un minimum de 3 années.

Comment les œuvres sont-elles ensuite diffusées dans les établissements ? Votre service en fait-il la promotion ?

Une fois la ressource livrée, le ministère participe bien évidemment à sa diffusion au travers de ses réseaux (enseignants, inspecteurs, formateurs).
Le site Eduscol  permet de connaître l’ensemble des RNE soutenues. Certaines ressources, particulièrement intéressantes pour les élèves et leurs enseignants, sont aussi exposées sur les principaux salons (Educatice, BETT, Ecritech, Orme, Ludovia…). Enfin des lettres thématiques (EduNum) présentent régulièrement des ressources soutenues.

Avez-vous observé des besoins particuliers dans le champ du handicap mental ?

Plusieurs expérimentations (dont ClisTab 1 et 2) semblent montrer que les tablettes sont particulièrement bien adaptées pour les élèves présentant des troubles des fonctions cognitives. Le fait de travailler dans un même plan (et non de passer d’un clavier posé à plat à un écran qui est dans un plan vertical) est facilitateur. De même, le fait de cliquer avec le doigt est plus simple que de passer par un clavier ou une souris : une action provoque une réaction. Un retour haptique (vibration) peut dans certains cas être très intéressant.
Nous pensons aussi que la réalité augmentée (on apporte à l’élève des informations supplémentaires qui se superposent à ce qu’il voit) est susceptible de faciliter les apprentissages des élèves présentant ces troubles. Une rééducation du regard par ces dispositifs est pédagogiquement possible.
Il reste aussi à étudier l’intérêt que peuvent présenter les objets connectés de plus en plus présents dans nos environnements.

Pour conclure
Les opérateurs du ministère de l’Éducation, le CNED, Canopé, l’Onisep et l’INS HEA, sont aussi fortement mobilisés quant à la conception et la diffusion de contenus et services numériques qui sont spécifiques aux élèves handicapés.
De plus, le site de l’« Observatoire des ressources numériques adaptées » et placé sous l’égide de l’INS HEA donne accès à de nombreuses ressources adaptées pour l’école.
Enfin certains enseignants et certains parents sont eux-mêmes parfois en situation de handicap et doivent pouvoir avoir accès aux informations utiles pour leur enfant. Aussi le ministère a décidé de rendre accessibles dès la rentrée scolaire 2016, les documents les plus utiles aux familles (le calendrier scolaire, les documents qui expliquent les possibilités d'aides à la scolarité, une information sur le nouveau livret scolaire...) notamment sur des pages Internet rédigées en Facile à lire et à comprendre (FALC) à côté de la LSF et du braille.

 

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