Journée de l'autisme 2021

Le robot Nao comme support relationnel et de dynamique groupale auprès d'enfants porteurs de troubles du spectre autistique : une recherche menée à l'hôpital de jour André Boulloche par Olivier Duris, psychologue clinicien.

L’intérêt des sujets TSA envers les machines est connu de tous.

Il est aujourd’hui d’autant plus d’actualité, dans la mesure où nous assistons actuellement à un essor du développement de la robotique, notamment dans le champ de la santé mentale : de nombreux robots sont utilisés dans plusieurs lieux de soin, et tout particulièrement auprès d’enfants TSA, et plusieurs auteurs se rejoignent pour expliquer en quoi ces machines constituent de formidables outils de médiation thérapeutique. Notre but est d'apporter notre contribution à ces discours de cliniciens, en nous appuyant particulièrement sur deux expériences que nous avons menées dans notre hôpital de jour pour enfants depuis septembre 2015. 

NAO est un robot humanoïde de 58 centimètres développé par la société française Aldebaran depuis 2006. Il est aujourd’hui utilisé auprès d'enfants autistes dans certaines institutions, notamment scolaires ou médico-sociales, dans plusieurs pays, principalement dans un but éducatif. Plusieurs auteurs le décrivent comme un potentiel « accélérateur » du processus thérapeutique observable dans les suivis de jeunes souffrant de TSA. Tout d’abord, il serait moins « persécutant » pour l'enfant que le face-à -face avec l'adulte ; et ensuite, en parlant depuis un texte écrit par le patient, il permettrait ainsi d'améliorer les interactions possibles des enfants avec les soignants et des enfants entre eux.  En effet, les enfants présentant des Troubles du Spectre Autistique sont décrits comme étant en grande difficulté pour identifier les « mimiques » humaines, et plus encore pour intégrer simultanément une multitude d’informations relatives à la fois aux gestes, aux attitudes et aux intonations : la complexité de la communication humaine les déroute. Une situation d’échanges normale pour nous les plonge dans un bain d'émotions contradictoires, à tel point qu'ils sont tentés de se retrancher de toute communication. Il n'est donc pas étonnant que, selon des études déjà menées, ces enfants soient moins en difficulté pour interagir avec un robot qu’avec un être humain. Cette particularité serait d'ailleurs augmentée si l’apparence du robot est perçue comme rassurante par l’enfant. Or c’est exactement le cas du robot NAO. Avec sa taille de tout petit enfant (58 cm), son visage rond et ses grands yeux colorés, il attire immédiatement la sympathie et l’envie de communiquer avec lui.
De nombreuses études de psychologie cognitive portent aujourd’hui sur la question de savoir comment un robot peut rassurer ces enfants et les engager dans des activités relationnelles simplifiées qui peuvent ensuite servir de matrice organisationnelle pour des apprentissages relationnels plus complexes engagés avec d’autres humains. Ces études se centrent sur le mode de communication spécifique que l’enfant porteur de troubles autistiques établit avec le robot, à la fois du point de vue des capacités relationnelles qu’il peut y renforcer, et de la possibilité pour un professionnel de jouer sur les caractéristiques de la relation pour entrer lui-même en relation avec l’enfant. Bref, le robot est envisagé comme une sorte d'interlocuteur « à la carte », adapté aux possibilités et aux pathologies de chacun. Cependant, nous avons pu constater qu'il n’existait que très peu d’études basées sur une approche psychodynamique et encore moins qui intègrent la dimension groupale. Nous avons alors décidé de nous interroger sur la façon dont l’introduction d’un robot dans une relation enfant-robot-thérapeute, ainsi que dans un groupe d’enfants porteurs de Troubles du Spectre Autistique, pourrait modifier les relations des enfants entre eux, et avec le thérapeute. Notre travail a porté plus particulièrement sur l’impact du robot Nao sur les capacités narratives des enfants autistes, mais également sur la narrativité du thérapeute inclus dans la triangulation enfant/robot/thérapeute. Les enfants vont-ils considérer chacun le robot comme un interlocuteur possible pour eux-mêmes, ou plutôt comme un jouet, une machine, qu’ils voudraient s’approprier en entrant en opposition avec les autres enfants et adultes ? Quelles différences seront observables dans la relation établie par les enfants porteurs du Trouble du Spectre Autistique avec un humain et avec un robot, dans une situation de thérapie individuelle et groupale ? Le robot apportera-t-il une amélioration thérapeutique évaluable et différente de celles déjà apportées par d'autres types de médiations ? Ce sont ces questions auxquelles nous souhaitons répondre par une observation attentive des effets produits par l’introduction d’un robot NAO dans des groupes thérapeutiques avec des enfants porteurs de troubles autistiques, et dans des situations duelles enfant-thérapeute.   

Pour ce faire, notre thèse sera divisée en 3 parties et 8 chapitres, afin de répondre à nos différents questionnements :  

Première partie : Introduction théorique et réflexions préalables 

Le Chapitre 1 sera ainsi une partie théorique présentant le concept de narrativité et ses implications dans la clinique de l’autisme.

Le Chapitre 2 présentera rapidement les caractéristiques de l’outil robotique, puis se centrera sur l’utilisation de ces machines dans la clinique de l’autisme, et leur introduction dans les institutions de soin.

Le Chapitre 3 décrira l’enjeu de la narrativité dans les thérapies groupales mises en place dans notre hôpital de jour (et plus particulièrement dans les ateliers à médiation « jeux vidéo » et les ateliers
« conte »), ainsi que les questions préalables que nous avons dû nous poser avant de faire entrer le robot auprès des enfants et soignants avec lesquels nous travaillons.

Deuxième partie : Expérimentations

Le Chapitre 4 présentera notre toute première expérience, menée entre 2015 et 2018. Notre objectif était ici d’observer si une histoire racontée par un robot dans un atelier à médiation « conte » (utilisant la méthode de Pierre Lafforgue) pouvait être plus facilement comprise par les enfants TSA, et permettrait une meilleure reconnaissance des émotions et une amélioration de leurs capacités empathiques. Pour ce faire, des tests cognitifs (WISC-IV ou -V), des échelles d’évaluation (CARS, Vineland) et projectifs (Test de Socialisation de l’Enfant et de l’Adolescent : TSEA) ont été réalisés à t=0 et à t+2ans (soit une expérimentation basée sur 50 séances) chez des enfants présentant un trouble grave du développement (N=10, M Age=8,4, 50/50%garçons/filles, diagnostic TED/TSA). Les sujets qui ont bénéficié de l'intervention de Nao pendant une médiation « conte robot » (n=5) ont été comparés à un groupe témoin qui a bénéficié d’une médiation conte animée par une psychologue (n=5).

Le Chapitre 5 sera, quant à lui, un grand journal clinique se basant particulièrement sur trois enfants de l’expérimentation « atelier conte ». Dans cette partie, plusieurs séances seront décrites, en se basant sur les notes prises par les différents observateurs non-participants, afin de nous centrer sur l’analyse qualitative de notre expérimentation.

Le Chapitre 6 décrira une seconde expérimentation, faisant directement suite à celle sur les ateliers conte. Notre objectif était ici de voir quels seraient les impacts du robot dans un autre contexte, détaché du dispositif de Pierre Lafforgue. La présence du robot-conteur semblant également avoir favorisé la reconnaissance et l’expression des émotions par les différents enfants du groupe expérimental, mais aucun test mené dans l’étude quantitative de cette expérimentation ne nous permettant de mesurer cet aspect particulier, il nous paraissait pertinent de diriger notre prochaine expérimentation sur cette question précise. Nous avons alors décidé de mettre en place un atelier thérapeutique basée sur la reconnaissance des émotions, la narration et le mime. Afin de donner un aspect comparatif à cette étude, trois groupes différents ont été créés : un groupe utilisant un robot non humanoïde, un groupe utilisant un robot humanoïde et un groupe sans robot. De cette manière, nous avons cherché à identifier les éventuelles différences dans l'évolution des capacités des sujets en contact avec un robot et celles du groupe sans robot, en matière de reconnaissance émotionnelle, d'expression émotionnelle et de communication. Pour ce faire, nous avons utilisé le test de reconnaissance des émotions faciales (test Ekman 60 visages) et trois sous-tests NEPSY II (sous-test de reconnaissance des affects, sous-test de théorie de l'esprit et sous-test de mémoire narrative) à t=0 puis après 15 séances, auprès d’enfants TSA (N=6, M Âge=9,10, 100% de garçons). Les sujets qui ont bénéficié de l'intervention de Nao pendant ces séances thérapeutiques (n=2) ont été comparés à un autre groupe qui a bénéficié de la médiation d'un robot non-humanoïde Cozmo (N=2) et à un groupe témoin qui a bénéficié de la médiation par une éducatrice spécialisée (n=2)

Troisième partie : Reprise théorico-clinique

Le Chapitre 7 tentera une élaboration théorique sur les observations effectuées dans nos deux précédentes expérimentations. Plusieurs vignettes cliniques tirées de différents temps de médiation robotique (individuels ou groupaux) seront également présentées. Notre objectif sera ici de présenter l’impact de la médiation robotique sur le regard, le corps et la sensorialité des jeunes TSA, puis l’intérêt de la voix du robot en tant que voix mécanique, artificielle, décomplexifiant ce son humain composé d’un ensemble d’informations complexes et donc moins intégrables pour l’enfant, et permettant également de trouver un détour face à la rencontre pulsionnelle encore trop angoissante pour l’enfant autiste.

Le Chapitre 8, enfin, se centrera sur la place de la machine dans la relation intersubjective instaurée entre l’enfant autiste et le thérapeute dans le cadre de séances thérapeutiques à médiation robotique, et sur son intérêt dans l’accompagnement des processus de subjectivation des sujets TSA.

En résumé, nous avons pu constater, à travers notre recherche, que l’utilisation de robots humanoïdes et non-humanoïdes dans des ateliers thérapeutiques auprès de jeunes porteurs de TSA permettait une plus grande contenance du cadre, une amélioration des compétences narratives et émotionnelles (compréhension d’une histoire, reconnaissance des émotions, expression émotionnelle), mais également des capacité relationnelles et sociales (communication, interactions, imitation, attention conjointe). Cette recherche a également montré à quel point l’usage  d’un  tel  outil  permettait  une  diminution  des  défenses  autistiques (écholalie,  enveloppe sonore, stéréotypie,  agitation, retrait).  Enfin, tout au long de notre  travail, l’idée  s’est  imposée que  le  robot  n’est  qu’un  outil  et ne  remplace  en  aucun  cas  l’humain.  Il représente  un  outil  de  médiation  nécessitant  la présence  d’un  professionnel  de  santé  lorsqu’il  est  utilisé  dans  le  champ  de  la  thérapie.  Notre objectif  n’est  donc  pas  de  faire  en  sorte  que  la  machine  remplace  un  jour l’humain  dans  la prise  en  charge  des  patients,  mais  bien  de  montrer  l’intérêt  de  cet  outil  en  tant  que  medium. Nous  avons  pu  ici  mettre  en  avant  les  bénéfices  de  l’utilisation  des  robots  pour  initier  des comportements  sociaux  et  améliorer  les  compétences émotionnelles  de  nos  jeunes  patients TSA,  mais  une  grande  variété  de  méthodes  utilisant  un  robot  en  tant  qu’outil  thérapeutique peuvent être  envisagées,  et un grand nombre  de  bénéfices  thérapeutiques supplémentaires sont encore  à  découvrir.  Il  nous  paraît essentiel  d’interroger  et  d’anticiper  l’usage  de  ces  outils robotiques  dans  la  pratique  du  psychologue,  et  particulièrement  auprès  de  la  clinique  des enfants  TSA,  afin  de  travailler  au  mieux  avec  nos  patients  tout  en  inscrivant  notre  pratique dans un questionnement  constant sur les technologies émergentes. 

  • Une thèse soutenue le 3 mars 2021 : « Olivier Duris, après avoir écouté votre exposé de soutenance, après avoir écouté les réponses aux questions qui vous ont été posées et avoir pris connaissances de vos travaux, bien sûr, et après avoir délibéré, le jury décide de vous conférer le titre de docteur en psychopathologie et psychanalyse. Je voudrais ajouter, au nom du jury, que bien sûr il n’y a pas de mention (cela n’existe plus), mais s’il y en avait vous auriez eu les félicitations à l’unanimité du jury. Toutes mes félicitations. »

Une recherche menée à l'hôpital de jour André Boulloche situé au 56 rue du Faubourg Poissonnière dans le 10e arrondissement à Paris. Les contacter : hjp@cerep-phymentin.org