Chers collègues, Chers amis,
En prenant connaissance du rapport d’activité 2018 de notre association, je mesure la vitalité institutionnelle, la créativité thérapeutique et la force innovante en matière de recherche de nos différents établissements.
En soulignant cela, je n’ignore pas non plus les diverses turbulences et les événements complexes qui ont émaillé l’année 2018, mais c’est aussi un signe de la force d’une institution que de pouvoir résister à la survenue de certaines difficultés et de parvenir à les dépasser en en retirant une éventuelle dimension de résilience... à supposer que ce concept ait la moindre validité !
Quoi qu’il en soit, dans le paysage socio-culturel et pédopsychiatrique actuel, je suis fier de présider une association comme la nôtre et je me souviens que le premier livre que j’avais publié, il y a longtemps déjà, dans la collection du « Fil rouge » des Presses universitaires avait pour titre : « Insister, Exister ».
Je ne savais pas encore à quel point ce thème allait servir de fil rouge, précisément, à l’ensemble de mon trajet professionnel et j’y ajouterais volontiers aujourd’hui le terme de « résister ».
Dans cette perspective, j’aimerais alors mettre deux points en exergue de ce rapport d’activité.
► Tout d’abord, comme vous le savez, j’ai réagi aussi vite que possible, aux déclarations ministérielles qui ont récemment disqualifié toute idée de rencontre des enfants autistes avec des pédopsychiatres !
Ces propos bien évidemment inadmissibles illustrent les dangers qui pèsent actuellement sur la pédopsychiatrie et les diverses disciplines associées ainsi que sur la prise en charge psychothérapeutique de l’ensemble du champ des troubles du spectre autistique (qui concernent une grande part des enfants en souffrance psychique, compte tenu de l’hétérogénéité effarante de ce concept).
Les attaques contre la prise en charge psychothérapeutique dans le champ de l’autisme cache en fait une attaque sur le soin psychique en général, voire plus largement encore une attaque contre les sciences humaines.
Pour reprendre les termes de P. DELION, mon ami de longue date, c’est la vision humaniste et transférentielle de la psychiatrie qui se trouve désormais menacée alors même qu’elle est le garant de l’importance de la qualité et de la spécificité de la rencontre avec chaque patient et d’un fonctionnement des équipes qui ne soit pas uniquement régie par une simple logique des coûts.
Puissent nos équipes qui travaillent au quotidien de manière acharnée, difficile et enthousiaste avec les patients qui nous sont confiés, témoigner à leur manière de la nécessité absolue de cette vision sans laquelle il n’y a pas de soin psychique pensable et même possible.
Puissent même certains parents se joindre à nous dans ce combat éthiquement nécessaire et urgent.
Quoi qu’il en soit c’est un immense plaisir pour moi que de voir notre association incarner une sorte de résistance à ces positions ambiantes et avoir la capacité de réaliser une gestion administrative rigoureuse (merci à l’équipe du siège !) sans sacrifier aucunement la qualité relationnelle et psychodynamique des diverses prises en charge thérapeutiques assurées dans nos établissements.
Insister, exister, résister...
► Ma deuxième remarque concerne le petit Ulysse qui fait désormais partie de l’iconographie de nos documents associatifs ainsi que ce beau portrait d’adolescente qui y figure aussi.
Certes, Ulysse nous fait penser au mythe du retour et à la nostalgie du pays originaire, mais la mise en vis-à-vis dialectique de ces deux visages vaut pour moi comme une métaphorisation de la théorie de l’après-coup dont Jean LAPLANCHE nous a bien dit à quel point il était important d’en faire une lecture à double sens, soit du passé vers le présent mais aussi du présent vers le passé.
Le bébé que nous avons été rend compte en partie des adolescents que nous sommes devenus, mais les adolescents que nous avons été et les adultes que nous sommes désormais peuvent en permanence relire, remanier et transformer les souvenirs de notre histoire précoce.
C’est là le fond de la thématique Bébés/Ados qu’Alain BRACONNIER et moi essayons de déployer depuis maintenant une dizaine d’années, mais c’est surtout le socle de toute démarche psychothérapeutique qui vise non pas à modifier les événements que nous avons vécus - chose évidemment impossible ! - mais à modifier le rapport que nous entretenons avec ceux-ci, soit avec notre propre histoire.
Apaiser, tranquilliser nos représentations précoces, tel est l’un des objectifs de la vie psychique et de ce point de vue, tout être humain est en quelque sorte un Ulysse de son originaire personnel.
Le soin psychique vient relancer cette dynamique chez les patients en souffrance et en mal de développement dont nous assumons les prises en charge qui n’ont donc rien à voir avec la recherche de tel ou tel coupable...
Notre travail est de contrer les différentes sirènes culturelles, politiques ou idéologiques qui pourraient détourner nos patients de ce mouvement reconstructif et restaurateur.
Insister, exister, résister...
J’espère vivement que l’Institut Contemporain de l’Enfance (ou Institut Michel SOULÉ) aujourd’hui en cours de création puisse contribuer à faire vivre ces valeurs fondamentales en étroite collaboration avec le Cerep-Phymentin qui sait si bien faire la part entre l’éthique du savoir et l’éthique du sujet sans jamais rien céder sur cette dernière.
Pour conclure et illustrer encore la dynamique de l’après-coup entre bébés et adolescents, je laisserai la parole à Rainer Maria RILKE qui a dit dans ses « Lettres milanaises » (Plon, Paris, 1956) :
« Nous naissons, pour ainsi dire provisoirement, quelque part ; c’est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine, pour y naître après-coup, et chaque jour plus définitivement ».
Bernard GOLSE, président de l’association Cerep-Phymentin