Rencontré dans le cadre d'Arts et Santé, La Manufacture, nouveau dispositif de la DRAC et de l’ARS, le binôme Mehdi Idir et Laetitia Mailho, revient sur les raisons de la création de cette association. Passant en revue les missions de chacun, le contexte général et les besoins croissants tant au niveau des structures de santé qu’artistiques et culturelles, Laetitia comme Mehdi soulignent combien cette nouvelle entité fédèrera davantage les porteurs de projets. Point de ralliement - Arts et Santé, La Manufacture commence à se déployer, grâce à la contribution de tous les acteurs concernés.
Je suis conseiller territorial à la DRAC Ile-de-France dans le Service du Développement à l’Action Territoriale qui décline sur le périmètre régional les conventions que le Ministère de la Culture a signées avec d’autres ministères. Les champs sont nombreux. On intervient de longue date avec l’Education nationale pour des financements d’actions, dont un dispositif de résidences territoriales d’artistes en milieu scolaire en partenariat avec les trois académies d’Ile-de-France. Un autre dispositif nous réunit avec l’Education nationale, les collectivités, villes ou agglomérations : des Contrats Locaux d’Éducation Artistique qui sont des « résidences-missions d’artistes » sur un territoire, pendant 4 mois. Nous intervenons également avec le ministère de la Justice dans le financement d’actions qui bénéficient aux personnes sous main de justice quelles que soient « la nature » de la main de justice. Nous travaillons aussi dans le cadre de la politique de la ville, notamment pour des actions qui rapprochent des structures sociales et des structures culturelles - compagnies ou lieux - pour des projets artistiques dans les quartiers, auprès de publics éloignés de la culture. Enfin, nous collaborons avec l’ARS, à travers la convention régionale Culture et Santé sur le financement d’actions d’artistes dans les établissements sanitaires d’une part mais également, à travers le label attribué aux établissements en question.
Je travaille pour l’ARS Ile-de-France dans le cadre de Culture et Santé. Si le contexte a récemment changé, il est intéressant de revenir dessus et de le replacer dans la globalité de l’organisation de l’ARS. Ma mission est rattachée à la Direction de la démocratie sanitaire, à l’agence. Parmi d’autres missions, j’avais auparavant la charge d’organisation de forums de démocratie sanitaire sur des sujets de santé publique tels que la prise en charge des personnes atteintes de VIH, la santé mentale dans sa globalité et ses enjeux, ou le Forum Santé Citoyen qui portait notamment sur l’information en santé, les droits des usagers et leur représentation. Une autre de mes missions portait plus spécifiquement sur le fonctionnement et l’évaluation des commissions de relations avec les usagers pour la qualité de la prise en charge, qui existent dans chaque établissement de santé, et la représentation des usagers, le but principal étant d’identifier des pistes d’amélioration concrètes pour la région et de les accompagner à constituer des leviers effectifs d’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes dans l’établissement de santé, de manière très large.
Culture et Santé s’inscrit donc dans une vision qui place la personne accueillie à l’hôpital non plus comme un patient, un malade, un organe passif, mais dans sa dimension globale de personne active, citoyenne qui a une vie autre que celle d’une personne qui attend des soins, une consultation, un diagnostic. L’objectif est de pouvoir prendre en compte la globalité de la personne dans le cadre de ces temps plus ou moins longs où elle est accueillie dans le système de santé.
Depuis longtemps la psychiatrie fait, quant à elle, appel à des supports, des médias artistiques, pour des objectifs qui lui sont propres. L’art, dans ce cas, est souvent utilisé à des fins thérapeutiques pour sa capacité à remettre beaucoup de processus en mouvement. Il y a d’autres domaines de soin où il est parfois moins naturel et plus compliqué de faire accepter la présence d’une action artistique.
Cependant, participer à une action culturelle, partager une pratique avec un artiste, a des effets sur la construction de la personne, sur son image, sur sa valorisation. Ceci est vrai quels que soient les circonstances ou le profit des bénéficiaires. Je pense que si demain je participais à une action avec un artiste qui vient se mettre à ma portée, pour m’embarquer dans son aventure de création, j’ai beau ne pas être hospitalisée, cela aurait certainement beaucoup d’effets sur mon ego et j’en ressortirais vraisemblablement narcisée ou renarcisée. De façon générale, cela aura un effet thérapeutique même si je ne suis pas patiente.
L’accès à des œuvres, à la création artistique et à de la pratique artistique est essentiel. Cela bouleverse, met en branle les convictions, les points de vue parce que cela induit le plus souvent de s’enrichir du point de vue de l’autre, d’entrer en dialogue. Non seulement on voit, mais on regarde autrement parce qu’on a été confronté à quelque chose d’une autre nature. C’est d’autant plus important dans des périodes de fragilité, que ce soit pour des raisons physiques ou psychiques, chroniques ou momentanées. La dénomination de « patient » a un sens très fort qui n’est pas vain d’impact : on se métamorphose en objet passif. Il est d’autant plus nécessaire que cette possibilité de culture à l’hôpital, soit proposée et offerte aux personnes. Rappelons qu’il s’agit d’un droit inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 (article 13) ainsi que dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 27.1).
Pour prendre les choses d’un point de vue technique – cela révèle souvent pas mal les choses – le service de l’action territoriale ou le pôle Démocratie sanitaire, conjuguent beaucoup d’enjeux et de charge de travail derrière les missions évoquées précédemment mais peu de moyens matériels, humains et financiers. L’organisation mise en place depuis la création de l’ARS, reposait sur un tiers de temps de travail consacré au dispositif Culture et Santé ; de la même manière côté culture, un tiers du temps de travail du conseiller territorial portait sur ce programme.
La première convention de partenariat en 2005, a permis de lancer la politique régionale et de commencer son déploiement : un appel à projet publié une fois par an, de l’argent alloué à l’issue. Après la création de l’ARS, une nouvelle convention signée en janvier 2011 a permis de renforcer ce partenariat et surtout de fixer de nouveaux axes de travail, plus ambitieux, dont l’ouverture au secteur médico-social mais également l’assise et le prolongement du dispositif dans le secteur sanitaire. Des avancées significatives ont ainsi pu être réalisées mais les deux tiers d’ETP mis à bout n’ont pas permis de répondre pleinement à tous ces objectifs.
Avec cette dernière convention, la DRAC et l’ARS ont vraiment souhaité porter les choses plus loin et consolider un partenariat déjà fort : renforcer les enveloppes budgétaires et l’accompagnement de projets, la communication, la visibilité du programme auprès notamment du secteur sanitaire. En quatre ans, notre action sur ce champ s’est considérablement développée. Le nombre de demandes de financements dans le cadre de Culture à l’hôpital a augmenté de manière assez impressionnante. Les budgets ont également augmenté conjointement, même s’ils restent modestes (250 000 euros) en regard du périmètre de l’Ile-de-France et du nombre d’établissements potentiellement concernés. Ceci étant dit, dans une époque où les budgets de l’Etat sont très contraints, parvenir à faire augmenter progressivement les enveloppes, a été une lutte acharnée des deux côtés et c’est une victoire certaine !
On a également réussi à doter le dispositif d’un nouveau levier unique en France : le label Culture et Santé. Aujourd’hui, 16 établissements de santé sont labellisés. C’est encore discret par rapport aux 450 établissements de santé de la région Ile-de-France, mais c’est un outil complémentaire à l’appel à projets Culture à l’hôpital, pour passer un nouveau cap. L’appel à projets permet de financer une action sur un an. Le label, de son côté, encourage les établissements de santé à structurer leurs propositions culturelles et artistiques souvent déconnectées les unes des autres, et construire une politique culturelle de qualité et outillée pour son bon ordre de marche : un référent, un budget dédié, une inscription dans le projet de l’établissement, une commission culturelle représentative des différents partenaires, des personnels, des usagers, des artistes et des équipements culturels du territoire qui vont statuer sur les propositions faites à l’hôpital, sur les bilans, les évaluations… On passe donc du « one shot » à quelque chose de plus stabilisé, de plus visible, plus pérenne au sein des établissements. Ce Label est d’ailleurs regardé de très près par les autres régions et le niveau national. Durant toutes ces années, on a considérablement développé notre partenariat et notre politique conjointe de manière à la rendre plus concrète dans les établissements de santé.
Nous n’arrivions cependant pas, tous les deux, à aller plus loin avec chacun son tiers d’ETP et la meilleure volonté du monde. Nous avons essayé de faire de l’animation de réseaux, de mettre en place des rencontres régionales. Les porteurs de projets étaient ravis mais nous étions dans l’incapacité d’aller au-delà. Concernant l’ouverture au secteur médico-social : en dépit de réflexions menées, l’existence de plus de 2000 structures, assez différentes et recevant des publics très variés, en Ile-de-France rendait la chose impossible dans ce contexte.
La réflexion sur les perspectives d’une nouvelle organisation et d’un nouveau développement du dispositif s’est construite à partir de ces constats. On avait progressé, on avait davantage d’assise et de visibilité. Mais, parallèlement, s’est produit un effet ciseau : les développements apportés ont renforcé la demande, nous mettant progressivement en incapacité d’y répondre de manière satisfaisante.
Il fallait donc trouver une nouvelle organisation, sans possibilité au sein de l’ARS comme de la DRAC de renforcer sur le long terme les personnels dédiés à la convention. On s’est d’abord demandé s’il fallait embaucher quelqu’un d’externalisé, une sorte de consultant, de prestataire ou s’il ne fallait pas peut-être abandonner nos ambitions… Puis, pour l’année 2015, l’ARS a mis à disposition un temps complet sur Culture et Santé, avec comme mission, en plus de l’animation du dispositif, la conduite de travaux de réflexion et de concertation portant sur la réorganisation du programme.
Ces travaux de concertation ont été menés avec les personnes concernées par la thématique Culture et Santé, qu’elles soient dans des établissements de santé, des équipes culturelles, artistiques ou qu’il s’agisse de personnes associées au comité de sélection par exemple, des financeurs, des mécènes, des représentants d’usagers. La piste pressentie a rapidement été retenue : une nouvelle structure en complément de l’ARS et de la DRAC, à l’exemple de ce qui se passe en région Rhône-Alpes. Le programme Culture et Santé y est conduit par la DRAC et l’ARS, certes, mais en lien étroit avec l’association Interstices qui fonctionne très bien depuis un certain nombre d’années. Elle produit de nombreux travaux de recherches, de la documentation sur la place de la culture à l’hôpital sur des thèmes précis, et met également en œuvre des formations. Elle a réussi à mobiliser d’autres sources de financements, et plus particulièrement, le Conseil régional.
L’exemple d’Interstices est apparu aux membres de ces groupes de travail comme un bon outil, dans la mesure où cela permettrait également de passer d’une politique régionale qui fonctionne d’une manière un peu descendante (même si on a toujours été très participatifs et inclusifs dans les propositions que l’on faisait), à une organisation qui fédère les porteurs de projets - les établissements de santé, les artistes, les structures culturelles, des personnes à titre indépendant – et les implique directement dans le développement du dispositif.
En juillet 2015, les réunions de travail se sont poursuivies avec tous les porteurs de projets afin de réfléchir et proposer ensemble la nouvelle architecture du dispositif en Ile-de-France. Les objectifs visés étaient d’apporter des réponses aux besoins exprimés, de davantage développer la mutualisation, de partager les expériences.
Il y a eu au début une crainte, chez certains, que tout ceci ne soit que la manifestation du désengagement de la DRAC et de l’ARS, comme un signe interprété à l’envers. Or, assez vite, les gens ont compris au sein des groupes que c’était justement la position inverse. La DRAC et l’ARS garderont le pilotage de cette politique régionale et seront seules décisionnaires concernant leurs subventions.
En dépit de la diversité des participants et du challenge que cela pouvait représenter, il y avait une forte conviction commune : celle de contribuer à faire naître ou à encourager le désir de culture chez les personnes dans le cadre de l’hôpital.
A l’issue de ces réunions, nous avons tous opté pour le statut juridique de l’association, loi 1901 afin de donner corps à nos idées. Cette nouvelle structure s’appelle donc Arts et Santé, La Manufacture.
Il faut maintenant se donner des objectifs à court et à moyen terme qui peuvent aller de la sensibilisation des personnels, à l’animation d’une journée d’étude thématique. Une autre priorité pourrait être la création d’un site internet permettant de mettre en ligne de façon participative tout ce que l’on fait et de valoriser ce qui se fait dans les établissements, sans perdre de vue l’objectif de rapprochement avec le secteur culturel.
Le nom « manufacture » évoque l’endroit où l’on travaille, où l’on construit. C’était très fort de voir, dans les groupes de concertation préalables à la naissance de l’association, des personnes de mondes différents travailler ensemble à ces objectifs. Il y a eu des séances de travail, cet été, où les gens rêvaient, se lâchaient, décidaient d’aller chercher ailleurs ce qui se fait dans ce champ, jusqu’à l’international, qui ne semblait pas si inaccessible, même si beaucoup d’autres choses seront à mettre en place avant.
Il faut rassembler de tous côtés pour essayer d’avoir la plus grande diversité possible. Nous sommes en train de créer tous collectivement une identité visuelle. Il faut également éditer une plaquette de présentation, qu’on définisse une charte graphique. Toute contribution est la bienvenue ! Un participant a eu une idée simple : si quelqu’un adhère au titre de sa structure, ou en tant qu’individu, il faut qu’il puisse afficher des visuels (autocollants…) indiquant qu’il est membre pour contribuer à la communication. Un site internet participatif doit faire l’objet d’un travail particulier conduit par un groupe de membres. L’association semble également vouloir organiser un événement dans les prochains mois. Les chantiers qui s’ouvrent à tous les membres sont assez conséquents. Il va falloir qu’on identifie des priorités. Cela fait un beau plan d’actions sur des années.
Nous avons également besoin de relais. Chacun dans sa structure, autour de lui, doit faire savoir l’engagement qu’il prend dans cette association, doit pouvoir contribuer à la présence de la culture à l’hôpital et témoigner des raisons de son adhésion.
Si demain, Arts et Santé, La Manufacture fait des actions de sensibilisation auprès du personnel soignant, l’intérêt peut être direct. Si demain sont mises en place des actions de formation ou que sont intégrés dans des formations déjà existantes des modules de sensibilisations à ces questions, les bénéfices leur en reviendront également. Si demain, on communique davantage sur des actions dans lesquelles le personnel est impliqué, il y gagne aussi. Si on arrive à mobiliser des financeurs, des mécènes, autour de la table qui viendront parce qu’on est nombreux et qu’il y a un impact alors tout le monde y gagnera. Tout cela donnera corps à ce regroupement.
Pour être quotidiennement en contact avec des personnes en charge d’actions liées à cette présence de la culture à l’hôpital, nous constatons qu’il y a souvent un grand isolement de ces personnes qui font, avec beaucoup de bonne volonté, de professionnalisme et d’ambition ce qu’elles peuvent mais qui manquent de soutien au sein de leur structure. Ce besoin de partage et de rencontres est devenu d’année en année une évidence. L’idée de pouvoir se réunir et s’organiser autour de ce sujet est une sacrée avancée dans l’articulation du programme et dans son développement. Cela va porter ses fruits.